V2V TRIP

Du vignoble du Jurançon aux vignobles de la Californie, traversée d'un océan en cargo et d'un continent en vélo. From Jurançon vineyard to Napa Valley vineyard, through the Atlantic ocean by cargo ship and from New York to San Francisco by bicycle.

From Kayenta (Navajo territory)
June 27th

May it be beautiful before me
May it be beautiful behind me
May it be beautiful below me
May it be beautiful above me
May it be beautiful all around me
In beauty it is finish
In beauty it is finish
(prière Navajo)

J'y suis.
Je ne dirai pas que tout le voyage était dirigé vers là, mais...

J'y suis. Dans le grenier de ma mémoire où sont entassés pêle-mêle des images, des sons, des mots, cette image là, j'allais souvent la rechercher, et pour la faire vivre, je passais sur la poussière qui cherchait à la recouvrir le tranchant de ma main.


J'y suis. Il y a peu encore, je pensais que c'était impossible. Des centaines de kilomètres pour traverser la France, des milliers de milles marins sur une mer et un océan, trois mille miles à travers un continent: ce ne serait jamais qu'un rêve.


Et bien non puisque j'y suis. J'y suis sur cette terre rouge. La terre est rouge comme le nom de ceux qui y ont toujours vécu: "redskins", les peaux-rouges. Est-ce parce qu'ils sont en symbiose avec elle: "earth spirit", l'esprit de la terre? Est-ce parce qu'elle est la mère, comme le ciel est le père? Est-ce simplement parce qu'ils avaient coutume de s'en maquiller?

J'y suis sur cette terre rouge. La terre est rouge comme si elle avait prévu, depuis les temps géologiques, le rouge de la honte, honte des paroles non-tenues et des traités bafoués. La terre est rouge comme si elle avait anticipé le sang versé, le génocide.

J'y suis et l'image cesse d'être une image. Elle devient falaise rouge, roche rouge, sable rouge parsemé de touffes vertes. Et le ciel est intensément bleu par-dessus ces désertiques étendues rouges. Et le son n'est plus une composition musicale. C'est le silence, profond, sans chants d'oiseaux, sans activité humaine.


J'y suis après être entré par un canyon impressionnant et une très longue ascension dans "the Valley of the Gods", la vallée des Dieux. Je progresse lentement. Je ne traverse pas "the valley of the gods", j'y chemine, j'y "pèlerine". Cette première terre rouge est aujourd'hui un territoire blanc. Il devait y avoir quelque chose à exploiter. Après MEXICAN HAT (chapeau mexicain), ainsi nommé à cause d'un curieux rocher, j'entre dans la Navajo Reservation, le territoire des Navajos.


Encore un long, très long, et difficile effort et j'y suis. Je suis au cœur du rêve comme le noyau et au centre du fruit. Je suis au sommet de cette route si longtemps désirée, cette route rectiligne qui semble venir se prosterner au pied des buttes, cette route symbole de l'american dream (le rêve américain).


J'y suis. Et l'image devient totems rouges, buttes rouges, mesas rouges.

J'y suis, je suis dans Monument Valley!



J'ai roulé à vélo dans Monument Valley

On me disait: "Mais tu pourras pas y aller avec ton vélo, c'est des pistes en terre, c'est très loin, tu ne verras rien". Je pensais: "Mais enfin, ces films, où on voit des routes dans Monument Valley, ils nous trompent? Les "Telma et Louise", les "Forest Gump" c'est des tours de passe-passe de réalisateurs?

Et bien je vous l'affirme: il y a des routes dans Monument Valley, il y a une highway, la 163, et des routes annexes, et à vélo on en voit déjà beaucoup. Quand on atteint le visitor center, situé sur la hauteur, à 4 miles de la highway, et qu'on se trouve tout-à-coup devant les trois buttes emblématiques, je peux vous dire que ça fait un coup au cœur. Il y a des routes, à tel point que je vais proposer à la secrétaire de l'Académie d'y organiser le prochain voyage de Pentecôte (il n'y aura qu'à régler le problème de l'avancée en voiture, mais là je laisse faire les spécialistes).

J'ai roulé en Jeep dans Monument Valley

Je voulais faire une promenade à cheval. Problème: le départ du horse riding est à trois miles au fond de la vallée, cette fois sur une piste en terre. La jeune Navajo qui me renseigne veut m'y envoyer. C'est hors de question. Alors, comme par miracle, on vient me chercher en Jeep. C'est le boss lui-même. Il s'appelle Gilbert. Nous voilà partis. Nous descendons "down Monument Valley", où seulement huit familles vivent à l'année, et où les touristes doivent payer pour circuler sur une piste de terre et de rochers. Nous laissons à notre gauche West Mitten Butte, passons devant East Mitten Butte derrière laquelle le soleil se lève au solstice, et contournons Merrick butte. Dans "Il était une fois dans l'ouest", ils avaient dû apporter un peu de sable pour protéger les fesses de Claudia parce que ça cahote drôlement. En quelques miles, Gilbert et moi faisons connaissance. Nous parlons de tout, des lois des Navajos, de la faune (couguar, scorpions, entre autres), du nom des falaises et des buttes, de l'activité économique. Ça rapproche, une voiture. A un moment, Gilbert s'arrête pour satisfaire un besoin naturel. Je lui dit qu'à vélo j'ai le même problème et qu'il n'y a pas beaucoup de petits coins aux USA. Il se marre comme un bossu.

Je me suis promené à cheval dans Monument Valley

Nous voici arrivés. Les chevaux sont prêts. Il y a d'autres touristes, mais qui ont choisi une durée de promenade différente de la mienne. J'ai donc un jeune accompagnateur pour moi seul. "I am Bernard, what's your name?" (Je m'appelle Bernard, quel est votre nom?) "My name is DJ" (mon nom est DJ, initiales du nom et du prénom). Je me tire correctement du premier test: grimper sur la selle. Pour faire avancer le cheval c'est une autre affaire mais DJ vient à mon secours. Nous partons tous les deux, tantôt côte à côte, tantôt l'un derrière l'autre. Je questionne beaucoup, ça plaît à DJ. Les chevaux? Des "mustangs" pure race. Cette falaise noire et rose? Les jeunes mariées viennent y toucher l'eau qui provoque les traces noires sur la roche. Où travaillez-vous l'hiver? A KAYENTA. Et le nom de cette proéminence? Le fameux Totem Pole. Et ainsi de suite. Le courant passe, comme le temps qui passe, lui, trop vite. Nous revenons. Pourboire généreux. Gilbert est là, qui attend avec la Jeep. DJ et lui se disent quelques mots. Il se passe quelque chose qui m'échappe. Toujours est-il que j'ai droit à un retour par une route interdite aux touristes, une route privée réservée aux Navajos. "Free", c'est gratuit, c'est offert. En plus Gilbert me désigne les endroits où tirer les photos. Entre temps, nous continuons à discuter. Gilbert est très étonné que j'ai femme et enfants.

J'ai dormi dans Monument Valley

J'ai dormi au Goulding lodge, le moderne. Pour bien connaître l'histoire du premier lodge (hôtel), j'ai visité le matin du deuxième jour le musée installe dans le trading post (je pense qu'on peut traduire par "comptoir commercial"). En 1923, Harry Goulding et sa toute jeune épouse Mike viennent vivre et travailler ici avec le peuple Navajo dont ils obtiennent vite la confiance. C'est en 1928 qu'ils construisent le trading post. Leur commerce est basé sur l'alimentation et les articles de ménage. Ils sont en même temps conseillers pour les affaires gouvernementales. Dans les années 30, Harry a une idée géniale. Il se rend à Hollywood pour rencontrer John Ford et lui montrer des photos de Monument Valley qui pourrait constituer un excellent décor de westerns. Impressionné, John Ford décide d'y tourner son prochain film, "La chevauchée fantastique". Monument Valley et le tout jeune acteur... John Wayne sont lancés. Ça ne s'arrêtera plus.

Goulding n'est donc pas un village, c'est un lieu-dit où sont installés le lodge, un restaurant, un magasin d'artisanat Navajo, une épicerie et une station-service. Dormir aujourd'hui dans Monument Valley est un privilège, les places y sont chères (à tous les sens du terme). J'avais réservé à l'avance, ce que je ne fais pas d'habitude. Mais voir le soir tomber et, au réveil, le jour poindre et le soleil se lever sont des moments privilégiés. Maintenant que je les ai vécus je ne regrette pas de me les être offerts. Le lodge est très bien construit au pied de la falaise. Toutes les terrasses de toutes les chambres sont orientées pour les besoins du "spectacle".

Messieurs qui me lisaient, si vous voulez offrir à votre préférée un vrai moment de western romantique, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

So far, so good.


From Goulding (Navajo Territory)
June 26th

Ç
a ne vous est jamais arrivé de vous dire: "ouh là, danger!"? On appelle ça, je crois, le sixième sens. Ça ne vous est jamais arrivé de vous dire: "Tiens, ça fait une paye que je n'ai pas vu un tel", et de voir le tel dans le quart d'heure qui suit? La vie a des clignotants. Il lui en manque un. Celui qui dirait: "attention, mec! Là, tu vas vivre quelques heures que tu n'es pas près d'oublier, t'as intérêt à les savourer!"

Faire durer

Le motel de Nancy n'offrait pas le breakfast, mais le restau d'en face a ouvert un peu plus tôt pour moi. Sur la route il y avait de longues côtes, mais elles étaient douces et le vent faisait la grasse matinée. Les descentes étaient pentues et rapides mais les revêtements routiers étaient si parfaits qu'on s'est permis une petite pointe à plus de 38m/H (60km/H passés). Bref, tout baignait. Alors, une fois encore, il a fallu faire durer. Arrêts photos, arrêts ravitaillements, arrêt pour n'importe quoi: rien n'y a fait, en deux heures, les 22 miles entre MONTICELLO et BLANDING étaient pliés. Faire durer: une bonne demi-heure au visitor center (office de tourisme), un petit tour à la poste pour s'alléger de quelques pièces inutiles, trois ou quatre cartes postales pour les réfractaires à l'informatique et on est presque à l'heure du déjeuner.

Les bikers de la Californie

Au family restaurant de BLANDING, je suis le premier client pour le lunch (11H!), mais immédiatement suivi d'un couple de bikers. Par politesse, on se dit deux mots de table à table. Je termine le repas juste après eux. Quand je sors, ils discutent avec un autochtone, et alors que je remets ma sacoche de guidon sur le vélo, commencent à me poser des questions. Nous parlons de ce qui a été fait et de la suite. La suite, Scott et Amy la connaissent bien. Amy est née dans la Napa Valley, à CALISTOGA. Ils me conseillent des routes. "Trust me", me dit Scott (faites-moi confiance). "I do, Scott" (mais oui, je vous fais confiance). Ils m'offrent une carte routière, avant que nos trois engins démarrent ensemble laissant Murphy, le gars du coin, tout seul devant le dinner. Scott et Amy sont les premiers Américains à me donner une info sur cette San Joachim Valley que j'avais depuis longtemps en point de mire pour éviter le désert: c'est plat et cultivé, et la route 49 est très "scenic" (touristique). Et bien, voilà!

C'est du Bluff

(Ce paragraphe prendra toute sa saveur avec les photos jointes)

Si vous voulez vous changer des environs de LANESTER, de TOUTLEMONDE, SAINT-JORIOZ ou du canal du Midi (je dis ça pour les copains de la fédé qui nous lisent peut-être), si vous trouvez que le bois du Laring ou la côte de PIETAT font un peu répétitif, j'ai un tuyau: payez-vous une traversée de la White Mesa et arrêtez-vous à BLUFF. Dans la White Mesa (Montagne blanche), il y a parfois des deux-chevaux, mais dans l'ensemble ça n'a rien à voir avec les champs de maïs et la route n'est pas encombrée. L'entrée de BLUFF ressemble un peu aux coteaux de JURANÇON côté rocade mais c'est quand même autre chose. Pour le Martini on the rocks ce sera difficile, mais vous pourrez tenter votre chance au café du coin. Côté Histoire, je vous conseille de visiter le fort, très différent du château de PAU. Le centre-ville est peinard, le seul problème étant peut-être les voitures-ventouses qui semblent être là depuis un moment. Pour le restaurant, c'est facile, il y a des voitures devant la porte. De la salle, le panorama n'a rien à voir avec les platanes du Junqué. Au menu, il faudra faire une croix sur le confit aux haricots, mais vous pourrez vous contenter comme moi de la "orange soup" (soupe froide apricot, orange, carrot) et du Ruby's chicken enchilada with baby greens and herbal rice (l'enchilada étant une crêpe de maïs), arrosé de "lemonade" faite maison. Ah, le nom du troquet: "Cow Canyon Restaurant" (on est loin de "chez Jean"!). Repérez bien le panneau "open" (ouvert), parce il y a quelquefois des camions dernier-cri qui le masquent.
Mon Dieu! J'allais oublier le motel! Si vous délaissez les établissements conventionnels chers et banals, vous choisirez le "Mokee Motel": 10 chambres (!), toutes non-fumeur, et ici, dans ce désert, pour un prix de misère, le seul motel d'Amérique où les parterres de fleurs s'étalent devant la porte.

Il y a des jours où la vie devrait vous avertir qu'elle va vous gâter.

So far, so good.

From Monticello (Utah)

June 23rd

(Reprise du deuxième message de CORTEZ que je n'avais pas eu le temps de terminer)


Je ne suis pas dans un canyon, ni devant une falaise, ni même devant une paroi. Je suis devant un mur bien plus haut que le canyon, la falaise ou la paroi: celui de la page blanche. Pour décrire les paysages que j'ai traversés hier, je n'ai pas de mots. Sur place, j'en ai même eu le ventre serré par l'émotion.
Alors, puisqu'il n'y a pas de mots, on ne va pas délayer. Allons aux faits.

Guilty or not guilty? (coupable ou non coupable?)

J'ai délaissé Red Dog au profit d'une petite japonaise bleue. Évidemment, comme je parle au vélo, j'ai dû lui annoncer la mauvaise nouvelle. Il a râlé, et a menacé de se plaindre à la SPA. Je lui ai rétorqué que si je l'abandonnais, c'était justement à cause de la SPA (la Spéciale Pour Arches). Alors, guilty or not guilty? A vous de juger.

La route

J'ai dû parcourir plus de 100 miles pour me rendre à Moab, porte du parc. C'est sur la route que j'ai ressenti le premier choc en arrivant sur un immense plateau bordé de falaises et parsemé de rocs, d'excroissances, de jaillissements de pierres. Aucun photographe, aucun cameraman ne pourra jamais saisir la magnificence d'une telle ampleur de paysage. Un peu comme sur l'océan seul l'humain, par l'œil et la pensée, peut l'appréhender. Au milieu est la route qui paraît se faire toute petite face à la majesté de l'espace minéral qu'elle coupe en deux et, dans cet univers tout en rose et vert, on glisse dans un autre monde. Évidemment, mes photos ne donneront rien. Mon appareil et moi-même sommes incapables de capter l'extra-terrestre.

Arches National Park

A peine entré dans le parc, j'ai cueilli sur le bord de la route une jolie fleur de printemps, ou plutôt une escargolette. Vous m'excuserez ce néologisme, mais avec le sac qu'elle avait sur le dos la comparaison prend du "poids". Et savez-vous d'où elle venait, cette toute jeune pousse? De Clermont-Ferrand. Domitille (c'est son prénom) est ici pour visiter à pied et en stop les grands parcs nationaux, avant d'aller travailler bénévolement à Yellowstone. Pour le stop, même s'il est interdit, elle n'a pas trop de problèmes, quoiqu'il lui arrive de planter sa tente au bord de la route quand la nuit tombe et que personne ne s'arrête. Aujourd'hui, c'est moi qui lui ai donné un coup de main et c'est donc ensemble que nous avons découvert quelques arches. Je dis quelques, parce qu'on ne peut pas tout voir en une poignée d'heures. Ici, visiter, c'est faire de la randonnée pédestre. Par exemple, pour voir "double o arch" il faut parcourir un sentier et grimper les rochers sur 7 km, sans beaucoup passer à l'ombre...


Ces arches, on les connaît, on les voit partout, on pourrait presque les nommer sans le plan. Mais la réalité dépassera toujours la reproduction. Arches National Park, grâce au sculptural et infiniment lent travail de la nature, c'est un condensé d'émotions. Finesse, formes, couleurs, majesté: tous les éléments se combinent pour composer un univers de beauté. Mes quelques clichés parviendront-ils à la restituer?*

Publicite

Évidemment, dans un monde où le sport est avant tout un business, ce blog ne pouvait rester longtemps un îlot de candeur dans un océan de profit. Voici donc un paragraphe de publicité. Si vous voulez zapper, passez au paragraphe suivant.

Je tiens à informer staff and manager (personnel et directeur) de Menou Chaussure Company, que les chaussures Josef Seibel emportées pour la vie après le vélo me donnent entière satisfaction. Excellentes chaussures de pont sur le Hudson, elles n'ont pas déparé à Time Square, ont passé correctement l'examen des restaurants et hôtels du continent et viennent de prouver leurs qualités de chaussures de randonnée sur les sentiers et rochers de Arches National Park où elles n'ont jamais glissé. Voilà moins de 600g polyvalentes.

Hôtesse à tout faire

Après avoir quitté Domitille, je pensais en avoir fini avec mes rencontres de la journée. C'était compter sans l'absence à son poste de travail du loueur de voitures. Je devais rendre le véhicule avant la fermeture du bureau, situé à l'aéroport de CORTEZ, soit avant 17H. J'étais là à 16H50, pas l'employé de Rent-a-Car. Le dernier avion étant arrivé, tout aller fermer. Heureusement il restait par là une charmante hôtesse de l'air (les hôtesses de l'air sont toutes charmantes) qui s'est émue de mon sort peu enviable (Il avait été convenu la veille que le loueur me ramènerait en centre-ville, au motel). Elle s'est armée d'un phone book, a appelé Rent-a-Car à DURANGO pour leur demander la procédure à suivre, a assuré la traduction quand j'ai dû m'expliquer par téléphone, et m'a appelé un taxi. Je n'ai pas de photo de Leah, mais ça l'aurait mérité.

C'est reparti

Ce matin, j'ai donc quitté CORTEZ. J'ai beaucoup aimé cette petite ville du sud (5000 hab.). Le motel était en plein centre-ville, où j'ai trouvé de tout, même un magasin de régime pour renouveler mon stock de barres sans gluten. La manager du motel, avec qui je suis devenu très copain, m'avait conseillé un restaurant extra, genre family et style cow-boy. J'ai par moi-même découvert un restau mexicain, "Francesca", excellent aussi, et en plus superbement décoré, les employées servant en robe traditionnelle(il y a photo). J'ai partout reçu un très bon accueil. Par exemple, à la public library où je m'étais renseigné en arrivant pour venir écrire le lendemain, la dame m'avait conseillé d'arriver tôt, les ordinateurs étant en libre accès et avec durée illimitée, ce qui n'est pas le cas partout, d'où certains messages bâclés. Quand, à l'ouverture, elle m'a vu presque en tête de la file d'attente, elle était tout heureuse et m'a désigné une machine performante. Surtout, ce qui m'a plu à CORTEZ, c'est la diversité ethnique. Ici, les blancs c'est les cow-boys avec chapeau, bottes et tout et tout. Mais il y a aussi beaucoup d'Indiens et pas mal de latinos. Ça donne aux lieux publics, style restaurants, une ambiance très particulière, décontractée et amicale.

Aujourd'hui, je suis arrivé dans l'Utah, où j'ai commencé par des travaux routiers, une section de 9 miles en pleine rénovation. Comme j'étais un peu bloqué par la nécessité de laisser la priorité à la circulation, j'ai regardé travailler d'énormes engins. J'en ai profité pour réaliser un reportage photo que j'utiliserai pour le fameux dossier "routes" que j'ai perdu deux fois. J'en ai profité aussi pour tailler une bavette avec Tara, une jolie contremaître qui assurait la pause à la signalisation pour une autre employée. Il y a en effet beaucoup de femmes dans les équipes de travailleurs routiers, même au volant des gros Caterpillars. Les amateurs auront une photo de Tara. Ils auront aussi une photo de Nancy, la manager du motel "Monticello Inn" où je suis descendu, qui m'avait déjà appelé Bernard quand j'avais réservé, et qui se révèle être très chaleureuse. C'est l'avantage des motels privés par rapport aux chaînes.

Comment dès lors ne pas dire plus que jamais: so far, so good?

*Je peux envoyer à Suzanne, si elle en a besoin pour travailler avec sa classe, une documentation technique expliquant le phénomène de formation des arches due a la présence d'une couche de sel recouverte de roches. il y a plus de 2000 arches dans le parc allant de 1 à 93 mètres d'ouverture (93m pour Landscape Arch - voir photos).

From Cortez (Colorado)

June 21st

A l'exception de Sarah qui connaît mes sources puisqu'elles furent nos bases de travail pour les derniers cours d'Anglais, je doute que vous connaissiez l'origine du nom de la ville où j'ai fait étape lundi soir, TELLURIDE. Dans les années 1880, l'endroit n'était pas comme aujourd'hui une plaisante station touristique, mais au contraire une cité minière où on extrayait l'or et l'argent et c'est probablement au tellurium, un élément souvent associé aux deux métaux, qu'on doit le nom de TELLURIDE. Mais la légende propose une autre version, celle de "to hell you ride" (tu chevauches vers l'enfer) pour la bonne raison qu'il y avait ici vingt-six saloons et douze bordels. Les esprits imaginatifs vont penser que je suis allé vérifier s'il ne restait pas à TELLURIDE quelques traces de cet univers de débauche, histoire de me divertir un peu après deux mois de solitude. Et bien croyez-moi si vous le voulez, j'étais beaucoup trop fatigué pour penser à ça. Mais revenons au début.

West Elk Loop

Je vous avais laissés à GUNNISON que j'ai quittée dimanche matin en longeant la "river" du même nom pour me trouver au bout de quelques miles dans un univers enchanteur. Retenue par un barrage et enfoncée dans un canyon, la rivière serpente en boucle ("loop") au pied de la roche. C'est une féerie de couleurs. Je ne sais pas si les photos suffiront à restituer la beauté de ces paysages. En s'approchant du barrage, le réservoir de la West Elk Creek offre lui une belle palette de bleus qui prolonge les ocres, rouges et roses de l'amont. Inutile de vous dire que je n'ai pas fait beaucoup de vélo, à proprement parler, mais plutôt du "stop and go" (s'arrêter et repartir) tellement chaque détour, chaque courbe, chaque petit changement d'orientation offrait une nouvelle et somptueuse perspective. C'est là tout le plaisir du voyage de découverte, quand on ne sait pas en partant le matin ce qu'on va voir dans la journée, quand on ne sait pas ce que va vous proposer la sortie du prochain virage.

La "Blue Mesa" (la montagne bleue)

La suite n'était pas moins intéressante. Arrivée au barrage, la route a pris de la hauteur au milieu de buissons turquoises dont je serais bien incapable de vous donner le nom, mais qui donnent à la montagne cette couleur bleue qui lui a valu son nom. Et c'est vrai, le paysage est bleu, un bleu qui tire très légèrement sur le vert. vous imaginez le contraste étonnant avec le bleu profond du réservoir qui s'étale au creux des pentes.
Le profil de la carte ne le laissait pas supposer mais la route s'est tout a coup enfoncée dans des gorges sombres par une pente de folie... qu'il a fallu annuler en remontant à pic sur l'autre côté pour aboutir à un immense plateau où divaguaient de nombreux bovins. Un autre versant, un autre paysage, il n'y a pas eu de quoi s'ennuyer. Pour terminer cette matinée je suis descendu sur CIMARRON (les jeans?), où je pensais déjeuner.

CIMARRON, ça conserve

Je commence à avoir quelques doutes sur la fiabilité des cartes d'Adventure Cycling et l'épisode de CIMARRON n'y est pas pour rien. Motel: une ruine (fermé); restaurant: idem. J'avance au milieu de carcasses de voitures rouillées et découvre enfin une épicerie/station-service. J'entre. Un monsieur tranquillement assis derrière le comptoir m'accueille. Il ne propose aucune restauration, à l'exception de ce qui se trouve sur les étagères et dans les armoires réfrigérées. C'est là que l'impossibilité d'avaler un sandwich devient un problème. Mon choix se porte sur une boite de thon en conserve, du fromage sous vide et un fruit. Heureusement que j'ai quelques petits compléments dans les sacoches.

Le Cerro summit

Ce n'est pas grand-chose mais ça suffit pour me caler avant d'aborder l'ascension du Cerro. L'épicier me dit que je n'ai pas de chance avec le vent. Il vient de tourner et je vais l'avoir de face. Je sais maintenant ce qui m'attend par 105F de température, du 8% de pente, et des bourrasques qui vous "plantent". Je reprends donc les habitudes des grosses ascensions, arrêts boisson et ravitaillement fréquents, pour vaincre cette difficulté qui ne dure fort heureusement que 5 miles. La descente vers MONTROSE est très pentue mais extrêmement dangereuse en raison d'une chaussée en très mauvais état. Je m'en tire sans encombre en limitant ma vitesse à 16/17mH. C'est dommage parce que 15 miles de descente en fin d'étape, c'est un petit plaisir qui vaut bien un Ricard bien frais. Celui-ci était tiède.

54 miles d'ascension

Je ne vous l'avais pas dit pour ne pas vous inquiéter, mais l'étape MONTROSE -TELLURIDE était celle que je redoutais le plus, avec un total de 54 miles de montée, dont 39 en continu depuis le départ. Dès que j'aborde la ligne droite de la highway 550 à la sortie de la ville, je sais que ça va être encore plus difficile que prévu. J'ai le vent en pleine poire et la circulation est infernale. La shoulder est large mais comme toujours sur les grandes routes très sale, et comble de malchance avec ce gros trafic elle s'interrompt par deux fois. La pente est faible mais continue et je n'arrive à RIDGWAY (28miles) qu'à 10H. Mon capital temps est déjà bien entamé et ça ne va pas s'améliorer avec un achat de fruits et une caissière bavarde (quoique délicieusement jolie) plus deux restaurants du centre-ville fermés (en pleine saison!). J'étais déjà sur la route du Dallas Divide, le grand col de la journée, je dois redescendre sur la 550 pour trouver un établissement ouvert. C'est plein de monde. Je vois une serveuse qui apporte une belle assiette à une table. Je lui demande ce que c'est et commande la même chose. Du coup en une demi-heure j'expédie l'affaire. Il m'était indispensable de me restaurer ici parce qu'après... rien jusqu'au bout!

Le Dallas divide

Culminant à près de 9000 pieds (environ 2700m, Daniel dont je salue l'apparition dans le cercle, confirmera), le Dallas divide commence dès la sortie de RIDGWAY. La pente est très faible, 2 à 3%, ce qui n'est pas le cas du vent, un mur. Je suis déjà sur mes plus petits braquets, vous imaginez mon inquiétude. Quand la pente devient sérieuse, c'est du 7 à 10% en permanence, avec des portions courtes mais infernales (le compteur a enregistré une pointe à 17%). Au gré des lacets, le vent m'oublie ou me cueille. Comme dans la forêt de San Isabel, je suis ballotté. Je me bats, les dents serrées, pour franchir certains passages, le tout dans un bruit d'enfer avec un trafic qui ne faiblit pas. Il y a aussi le bruit du vent. C'est terrible le bruit que fait le vent dans les oreilles, à tel point que quand le vent est contraire on commence par l'entendre avant de le sentir. Il me faut 2H15 pour venir à bout des 11 miles de l'ascension. Au sommet, j'ai un début d'ampoule à l'intérieur des pouces tellement j'ai serré les cocottes de freins!

An argument (une dispute)

Suivent 13 miles de descente que je suis obligé de négocier avec la plus grande prudence tellement le vent est fort et menace de me renverser. Mais enfin ça descend! Arrivé a PLACERVILLE, la route change complètement d'orientation et enfin c'est le silence: plus de vent. Je respire parce que ça recommence à monter, mais évidemment, avec le vent dans le dos, ça change tout. Je parcours quelques miles très agréables dans des canyons étonnants. La roche des falaises est rouge et offre un beau contraste avec le vert sombre des sapins qui s'y accrochent.


Le répit ne va pas durer longtemps puisque cette montée vers TELLURIDE, terme de l'étape est le début du Lizard Head pass que j'escaladerai le lendemain. Tout d'un coup, la pente passe de 3 à 8. Il y a sur cette route étroite à peine moins de circulation que sur la 550 et la 62. Il y a surtout beaucoup de camions. J'essaie de tenir ma ligne autant que possible, mais avec les sacoches la roue avant divague un peu. Je me fais klaxonner plusieurs fois. Jusqu'au moment où un gros camion, que j'ai vu arriver dans le rétro, refuse de ralentir alors que le flot descendant ne lui laisse pas la place de passer. Dans un réflexe vital, je pars dans le sable. Mais là, au bout de la fatigue et de la tension nerveuse, je pète les plombs. Je descends de vélo, je lui montre le poing dans son rétroviseur, je lui crie "murderer" (assassin), "killer" (tueur) et, en Français, quelques autres mots qui vous feraient rentrer la tête dans le cou si je vous les disais. Du coup, le flot des voitures qui suit le camion s'écarte de deux bons mètres en me dépassant et une dame me fait un signe d'apaisement. Bon. Je bois un peu. Et ça repart. Je finis de franchir ces 3 miles difficiles pour arriver sur le plateau de TELLURIDE. Je suis cuit. Je m'arrête pour me ravitailler. A ce moment là, le camion repasse dans l'autre sens et le chauffeur me crie quelque chose. Il a droit de ma part à une resucée du premier épisode.

Red Dog dans de beaux draps

Une piste cyclable permet sur 3 miles d'arriver à TELLURIDE. Ici, je crains le coup de barre. J'ai vu les prix des hébergements sur un document touristique. Un monsieur me dépasse en VTT. Je lui demande s'il peut me recommander quelques chose. Il me conseille la Victoria Inn et m'en indique très bien l'emplacement. C'est un tuyau de premier ordre. Il y a une chambre libre et le prix est correct. Seul obstacle, Red Dog est interdit de chambre, il devra dormir dans la rue. Faut vous dire que c'est quand même un peu "chicos", même si c'est le meilleur rapport qualité/prix de la place. Après l'étape que j'ai dans la tête et dans les jambes, je ne suis pas trop d'humeur à discuter. De toute façon, le réceptionniste est un garçon intelligent et, en plus, parle très bien Français. Il comprend a mon ton calme mais ferme (en Anglais) que ce sera le vélo dans la chambre. Est-ce l'avantage de bien présenter même si on a la peau un peu collante et les cheveux un peu en désordre? Nous transigeons sur un drap pour protéger la moquette, et le vélo dessus.


Et vous comprenez maintenant pourquoi je n'ai eu à TELLURIDE qu'une idée en tête: dormir.

Le Lizard Head pass

C'est le deuxième 10000 de la route (10222 exactement) et comme ce fut le cas pour le Monarch ce ne sera pas un épouvantail, tellement l'étape est différente de la précédente: 15 miles de montée et... 63 miles de descente jusqu'à CORTEZ où je sors des Rocheuses. Malgré tout, l'ascension n'est pas aussi agréable que celle du Monarch à cause... du vent, mais aussi du profil. Autant le premier était régulier et sans à-coups, autant celui-ci est une succession de pentes très difficiles puis de plateaux, de redescentes, de remontées, etc. A un moment, sur un replat, justement, un vététiste me dépasse en me disant quelque chose que je ne comprends pas. Un demi-mile après, je le vois faire demi-tour au pied d'une montée. Quand j'aborde la côte j'en comprends la raison: 12% d'amblée au compteur.


Les paysages grandioses et la très faible circulation font oublier le mal aux jambes. Au sommet, je discute avec un jeune automobiliste dont le meilleur ami est Français. Il me dit que les USA ne sont pas un pays pour faire du vélo et qu'il trouve les vins californiens minables à côté des vins français. Nous verrons ça dans... quelques jours.

Changement de cap

Il me faut conclure. Je m'accorde donc une journée de repos à CORTEZ et demain jeudi je vais, en voiture, faire 200km vers le nord pour aller visiter Arches National Park. Ce parc national n'est pas le plus connu, mais pour moi il rentre dans les priorités. Il n'est pas sur ma route et de toute façon impossible à visiter en vélo. D'où l'option Rent-a-car.
Pour la suite, je vais beaucoup vous décevoir en vous annonçant que j'abandonne... la route d'Adventure Cycling, et ceci pour deux raisons essentielles.


La première est que je suis très fatigué et il m'est impossible physiquement, je dis bien impossible, de faire une étape de montagne par jour face au vent pendant trois semaines de plus, avec des possibilités d'hébergement de plus en plus rares et donc des étapes de plus en plus longues à l'approche du désert.


La deuxième raison est que j'ai des priorités, comme je viens de le dire pour Arches. La première des premières, c'est Monument Valley. L'endroit est au sud de la route, je le situe maintenant très bien. J'ai déjà réservé deux hébergements pour m'y diriger en fin de semaine. Ensuite j'aviserai. J'irai peut-être vers le Grand Canyon du Colorado et vers Brice Canyon. En tous cas, pour rejoindre le Pacifique, je vais passer par le sud des déserts en traversant l'Arizona et en remontant la California depuis la hauteur de LOS ANGELES. Je vais donc à nouveau me créer un itinéraire. Ça ne me gêne pas du tout car il y a une troisième raison annexe. J'ai perdu confiance dans la fiabilité des renseignements d'Adventure Cycling et je m'en sortirai aussi bien tout seul. Si la route est trop longue, je louerai un véhicule.


Rassurez-vous, ce n'est pas fini. On va encore s'amuser.

So far, so good.


From Gunnison (Colorado)

June 18th

J'ai toute la terre devant moi.

J'ai une bonne partie de la terre devant moi: un continent, l'Amérique, deux océans, Atlantique et Pacifique. Je suis sur le "Continental Divide", la ligne de partage des eaux. Je suis à 11 312 pieds d'altitude. Je suis au sommet du Monarch Pass, au sommet de ma route.

Cool! (frais!)

A 5H15, j'ai soulevé le rideau. Surprise, tout le noir d'hier a disparu, l'aube est blanche. Moins d'une heure plus tard, le ventre vide, je suis sur la route, malgré les réticences de Red Dog qui faisait soit-disant des rêves en rose. Est-ce que je rêve, moi, au matin de l'affrontement avec un royal géant?


Ma détermination se heurte à la fraîcheur matinale. A PONCHA SPRINGS, au bout de 5 miles, je stoppe dans la première gas station ouverte pour avaler un café et deux galettes de riz. J'ai l'onglée! Imbécile, va. J'ai tout préparé, manches et jambières amovibles, dessous de casque, tout sauf... les gants d'hiver. Avant de repartir, je dois défaire tout une sacoche pour les atteindre. Mon compteur affiche 41F (5°!). Cool! (frais!). Du coup, le départ réel est à 7H10.

De l'humeur

Le très beau temps qui s'annonce me rend d'humeur pacifique. J'ai senti, dès les premiers coups de pédales, que ce ne serait pas aujourd'hui le style "quatre boules de cuir dansent dans la lumière, boxe, boxe" comme à ALEXANDER ou dans la forêt de San Isabel, mais plutôt "baisers dans le cou, viens donne moi la main". Ces journées où on apprivoise la route sont mes préférées. Je ne suis pas violent par nature. Ciel pur, pas de vent, pente régulière, c'est parti.

Une ascension

Allez, autant vous le dire tout de suite, le Monarch Pass n'est pas un obstacle insurmontable. Tout le rend agréable à escalader. Je n'ai pas dit facile, il n'y a pas de col facile, j'ai dit agréable. Chaussée large, revêtement lisse, circulation très moyenne et pas dangereuse, pente sans à-coups autour de 6 à 8%, environnement très vert. Par rapport à la plupart des grands cols européens que nous connaissons, on ne voit jamais au-delà de la ligne droite et du virage.


Je craignais un peu les effets de l'altitude et j'ai marqué des pauses ravitaillement tous les miles, comme me l'avait conseillé Philippe Potin. J'ai eu un petit vertige à 4 miles du sommet et un peu mal à la tête un peu plus haut, symptômes vite disparus en m'arrêtant. Mais au total, j'ai plus souffert de mal aux jambes en repartant que des effets de l'altitude!

Sean Barry

C'est la bonne surprise du Monarch, ce jeune et sympathique cycliste qui m'a rattrapé autour des 10000 pieds et qui a engagé la conversation. Finalement, nous nous sommes arrêtés pour discuter parce que j'avais le souffle trop court pour parler sans arrêt tout en montant. Lui était sur un vélo léger, il faisait juste le col et redescendait. Il était basé à SALIDA et partait faire avec un copain un grand tour en voiture et camping jusqu'au Canada. Mais c'est un cycliste globe-trotter à ses heures. Il est de SAN FRANCISCO et il est allé l'année dernière de chez lui jusqu'au Chili. Et c'est aussi un photographe. Je lui ai prêté mon appareil. Du coup, vous aurez des photos du Menou-pédalant dans le Monarch Pass. Nous nous sommes quittés sur de chaleureuses poignées de main, avant qu'il finisse le col à son allure... très différente de la mienne. En redescendant il m'a crié un encouragement en levant le pouce.

L'attrape-mouches

C'est l'expression favorite d'Hélène pour les lieux qui sentent le commerce-arnaqueur. C'est le cas au sommet du Monarch Pass que j'atteins à 11H40. Dans le seul lieu de restauration possible, on m'entoure d'attentions quand je dis que je veux manger, et on ne s'occupe plus de moi quand j'ajoute "without bred", "sans pain". Du coup je me lance dans la descente, aussi belle que la montée, mais on va beaucoup plus vite sur ce versant que sur l'autre puisque je passe de 4m/H à ... 35m/H (56km/H, la vitesse limite!). Dix miles de descente sans tourner une fois les pédales et je freine à SARGENTS devant un petit restau où je vais me régaler au milieu des cow-boys et des bikers qui ont les Harley devant la porte.

PARLIN

J'ai réservé quelque chose à PARLIN, au mile 53, mais j'ai des doutes. J'ai déjà senti au téléphone que quelque chose clochait. Entre SARGENTS et PARLIN, la vallée est magnifique et je multiplie les arrêts-photos. Pourtant un petit quelque chose me taraude, ce sixième sens qui vient avec la route. Vers le mile 48, j'accélère un peu la cadence pour pouvoir me retourner le cas échéant. T'as raison! Le truc de PARLIN est minable, c'est un trou à rats, des bâtiments pourris, des bagnoles rouillées autour. Bon, je n'ai pas le choix. Je dois aller plus loin, à GUNNISON. Il y aura au moins un camping et je préfère encore avec ce beau temps dormir sous la tente que dans ce hameau-bidonville. J'ai 12 miles de route. Il est 16H.

Super Ryan

Le Red Dog express se met en action. Un léger vent intermittent s'est levé, mais aujourd'hui l'attelage a du jus. Terminé pour les photos, changement de braquet et à exactement 16H58 nous sommes au centre de GUNNISON. Il y a de nombreux motels, tous affichent "vacancy" (chambres libres). Je choisis le Super 8. Je suis accueilli par un jeune homme. Il reste une seule chambre au rez-de-chaussée, mais elle est chère. Nous discutons un peu, je demande si je ne peux pas avoir un petit prix. Ryan, c'est le nom du réceptionniste, m'arrange l'addition. Encore un bienfaiteur. Et nous finissons, pour un prix de gargote dans une magnifique chambre avec un King size bed (mot à mot: lit de taille royale, en fait en 160). Un king size après un Monarch, vous ne trouvez pas ça logique, vous?

Et à propos de Ryan, je peux vous en apprendre une exceptionnelle: Il est fan et joueur de rugby. Il ne doit pas y en avoir beaucoup aux US! Allez Dax!

On peut le dire: so far, so good.


From Salida (Colorado)

June 17th

Permettez-moi de vous féliciter pour vos différentes contributions à l'histoire de l'exclamation de surprise et d'admiration à travers les langues. Je n'en attendais pas moins de vous. D'ailleurs, le sujet n'est pas clos. Par contre, j'ai dû expliquer à la réceptionniste du motel où j'ai lu vos comments ce qui motivait mes rires devant un écran et là j'ai eu des problèmes.

Merci à Jean-Claude; je vois qu'il colle à la roue du festival de Siros. Merci à J from J; je sens qu'il va bientôt nous servir l'équivalent en Basque (aidé de Patrick, peut-être?). Et merci à Gilles-Laurent, ce sympathique inconnu qui nous suit fidèlement depuis déjà un moment.

Alors, Gilles-Laurent, c'est vrai qu'en papotant, nous en apprenons beaucoup les uns sur les autres. Savez-vous que l'anonyme à ceci de troublant qu'on ne sait rien de lui? Il intrigue et il est source de supputations. Puisque vous semblez avoir un lien d'amitié avec Helga, alsacienne d'origine allemande, je vous situais dans cette zone linguistique. Mais voilà que, pas du tout, vous nous apprenez vos origines occitano-pyrénéennes. J'ai beaucoup aimé votre texte et, si je ne suis pas trop d'accord sur le "macarel", que je classais peut-être à tort dans les jurons, je vous accorde tout à fait le "miladiou" que mon adjudant ariégeois à Francazal, base aérienne de Toulouse, plaçait tous les cinq mots après avoir roulé sept ou huit "R" dans les quatre mots précédents.

Je profite de ce cours message pour répondre, Gilles-Laurent, à une de vos questions à caractère général. Rencontre-t-on des cyclistes? Depuis que je suis sur les itinéraires d'Adventure Cycling, Transamerica d'abord et Western Express route maintenant, j'en rencontre quelques-uns. A part la rencontre de Charles, un type vraiment formidable, ce sont des contacts assez brefs et assez décevants. Tim, que j'ai photographié, pédale sur son vélo couché pour une cause. Ça a l'air d'être un homme très généreux. Mais il avait de la route à faire, et moi aussi. Voici son site: http://greatlakesburncamp.com. Par ailleurs, la plupart sont des gens, jeunes ou moins jeunes, qui font de très longues étapes à hum de caillaou pour aller s'effondrer dans la chambre de motel avec un litre de lait. Ce n'est pas du tout mon style flâneur et petits restaus. Enfin, tous sans exception, vont dans le sens west/east: pas fous, les types. (vous allez me dire, c'est plus normal de croiser que de rattraper ou de se faire rattraper, mais tout de même...)

Enfin pour être complet avec vous, Gilles-laurent, je pense que Helga et Bernard-Jean ont fait une méprise. Ils ne sont pas défavorisés sur l'"Arno" par rapport à l'"Hudson". Je n'avais pas accès au blog moi non plus. Ce que j'avais imprimé pour eux afin d'obtenir leur... imprimatur n'était autre que le texte des e-mails que j'envoyais à mon fils Éric, qui lui-même les mettait en page. Naviguer sur Internet était trop lourd pour la transmission par satellite.

Merci en tous cas pour votre présence dans nos échanges. Je l'apprécie beaucoup.

So far, so good.


From Westcliffe (Colorado)

June 16th


En premier lieu, je voudrais dire à Lili, Jean-Louis et Michel que je pense tous les jours à eux. Ils savent pourquoi.

Rockies, acte 1

Dès la sortie de Pueblo, j'affronte les premières falaises qui me portent sur un superbe plateau, terre d'herbe rase parsemée de ranches où paissent les troupeaux. Le ciel est légèrement voilé, la température agréable, la pente faible (1 a 3%), la pédale douce. A ma grande surprise, les miles défilent sans efforts et je ne me trouve au pied du mur qu'à l'approche de WETMORE. J'ai déjà parcouru 29 miles sur 60 et il n'est que 10H30, l'affaire se présente bien.

Les ennuis se profilent...

D'après les cartes, je dois trouver à WETMORE épicerie et restaurant. Ils y sont, c'est un deux en un et ça n'ouvre... que le week-end. Bon, j'ai les bidons pleins et trois bouteilles dans les sacoches. Quant à manger il y a barres et biscuits. Je repars pour tomber immédiatement sur un panneau lumineux annonçant que la route est fermée en raison d'un incendie de forêt. Là, je n'ai aucune position de repli. Quand on n'a pas le choix, on fonce. Je fonce.

...et s'évanouissent

Un mile plus tard, je tombe sur un "store" ouvert, le "Wet Mountain Good", où une dame très coopérative me compose une salade. Je complète avec fruit, eau et café et la question du "repas" est très tôt réglée. Quant à la route, il y aurait une déviation mais on passe. Ouf!

Not so easy (pas si facile)

Je n'aime pas la montagne et la montagne me le rend bien.
Je redémarre dans de très bonnes conditions avec une pente moyenne qui va tourner d'après mes estimations entre 6 et 9 % suivant les passages. Je monte à 4/5 m/H. Ça me suffit, j'ai du temps il n'est que midi. Je m'installe dans un petit rythme sympa au milieu des sapins.

Ça ne va pas durer. Le vent se lève très vite, vent de face bien sûr. D'abord petite brise, il devient de plus en plus fort. J'entends les rafales descendre des forêts de résineux avec un bruit de cascades. Au début, je résiste. Jusqu'au moment où je suis projeté sur la droite et évite de très peu la chute. Là, ça se complique. Comme l'autre jour dans le Kansas, l'altimètre s'affole et avec lui l'indicateur de pente qui passe de 25% à -21% en trois secondes. J'en déduis qu'il doit y avoir un lien avec les pressions barométriques les jours de grand vent. Je continue autant que je peux, jusqu'au moment où j'évite d'être balayé une deuxième fois. Je décide d'avancer à pied: 2,5m/H ou 3,5 sur le vélo, ça ne change pas des masses.

La Samaritaine

Le moral commence à baisser quand une voiture s'arrête à ma hauteur. C'est une dame, qui me dit que la route est fermée. Elle va à WESTCLIFFE par la déviation. Je la fais parler un peu. Elle a un gros monospace vide, visiblement elle veut m'aider: est-ce l'ange gardien qui m'envoie du secours? Je réfléchis très vite: il me suffit de lui demander si elle peut m'amener, je suis sûr qu'elle accepte. Et puis non! Je la remercie. Le combat reprend. Je ne descends plus de vélo, j'avance comme je peux. J'ai enlevé du compteur la distance parcourue pour la remplacer par l'heure: je ne veux pas me casser définitivement un moral déjà très bas.

Mauvais présage

Ça monte toujours, il fait très chaud (plus de 100F), le vent ne faiblit pas, mes forces diminuent. Dans le ciel un voile gris, provenant de l'autre vallée, s'installe. Une deuxième voiture s'arrête à ma hauteur, dans le sens inverse cette fois. Ce sont des ouvriers d'un chantier électrique. Il me disent que la déviation n'est pas goudronnée et qu'elle fait... 10 à 15 miles.

Je n'ai toujours pas le choix: je reprends l'ascension, moral au trente-sixième dessous et forces en voie d'épuisement avancé.

Merci, Sheriff

A 15H, à la sortie de la San Isabel National Forest, après trois heures de lutte, j'arrive sur un grand plateau et j'aperçois de très loin les gyrophares. Le temps est devenu très gris, il ne fait plus que 75F. C'est là que tout va se jouer. Je pense qu'il me faudra arrêter une voiture pour la déviation. Les gyrophares que je voyais de loin sont ceux des voitures de police. Je m'adresse au Sheriff; d'abord je ne comprends pas. Mais son adjoint répète: la montée est finie et j'ai l'autorisation de passer! De désespérée, ma situation devient inespérée. L'ange ne m'en a pas voulu! Le Sheriff me demande si je n'ai pas de problèmes respiratoires, et me dit que la fumée risque de m'incommoder. J'ai froid, l'incendie va me réchauffer. Je sors le coupe-vent (le bien-nommé) et... le bandana. Je vais encore jouer les bandits, mais en l'occurrence, le sheriff opine.

Cathy, Cynthia et David

Je passe l'incendie comme une fleur, prends quelques photos, discute avec les pompiers. L'un me photographie: sous cet angle, qu'on voit l'incendie en fond, me dit-il. A la sortie de la zone, une grosse remontée se profile, je m'arrête pour enlever le bandana et boire. Je suis près des ambulances où Cathy et Cynthia sont en fonction. La première me dit joliment quelques mots de Français, puis tout le reste en Américain mais c'est beaucoup parce qu'elle n'a pas la langue dans la poche. Cynthia, elle, oh! surprise, parle Français. La survenance de David, un ranger, est l'occasion d'une série de photos. Tous ces gens sont vraiment très sympas!


L'affaire est pliée. Il me reste 10 miles de descente... où je vais devoir m'arrêter deux fois pour éviter la chute tellement les rafales sont puissantes et plusieurs fois pédaler comme un malade pour ne pas descendre en dessous de 5m/H. Je rappelle: dans la descente!

So far, so good.

From Pueblo (Colorado)

June 15th

(Au pied des "Rockies") I wonder...

I wonder, je me demande, je me demande ce qu'ont dû penser les premiers chercheurs de l'Eldorado, les premiers traqueurs de fourrures, en voyant, tout d'un coup, surgir devant eux, au-dessus des Hautes Plaines, cette énorme masse sombre.
Ont-ils cru à une illusion?
Ont-ils pensé que les dieux leur envoyaient une punition?
Ont-ils confondu avec un violent orage montant de l'horizon dans une journée en fusion?

Je vais émettre une hypothèse historique. Il y avait peut-être parmi eux un Béarnais, présence d'autant plus plausible qu'à l'époque les liens avec l'Espagne étaient très forts (ça, c'est pour l'Eldorado), et de nombreux cadets privés de terre se sont exilés en Amérique (ça, c'est pour les trappeurs). Alors ce Béarnais là aura sans doute lancé comme moi ce matin un admiratif: "Hilh de puta!" (prononcer hhhidéééput, en aspirant bien le "h", en appuyant la voix sur le "é", et en laissant tomber le reste).

Cette expression, dont la richesse est pratiquement impossible à apprécier pour les natifs extérieurs à une aire s'étendant de Garlin à Bedous et d'Aramits à Lestelle (consulter au besoin une carte du Béarn), ne sort d'entre les lèvres que pour les très grandes occasions. Un charcutier de Laruns, auteur d'une somme la concernant, a prétendu qu'elle viendrait du latin "putare". Je ne me prononcerai pas sur ce point, n'ayant pas les qualités pour en discuter. Mais, puisque je suis dans un pays dont la langue est d'origine anglo-saxonne, je dirai qu'on aurait pu, à défaut, très pauvrement, la remplacer en so british par un "my God" des jours de sacre, et en Américain teen-ager entendre un "Wouahouhhhh!" borborygmisé.

Vous le savez, la plupart des mots historiques n'ont pas été prononcés ("Il est encore plus grand mort que vivant", "merde, tirez les premiers Messieurs les Anglais", "c'est de la merde dans un bas de soie", j'en passe et des meilleurs). Voilà une expression qui n'est pas historique et qui a été prononcée, au moins ce matin.

Je laisse les exégètes assurer les commentaires en exprimant toute ma confiance sur ce point aux Jean (-Claude), Jean (-Marcel), Jean (-Louis), John (from J), gens (du Junqué) et anonymes divers. Mais surtout, n'en faites pas une montagne!

So far, so good.

From Ordway (Colorado)

June 14th

(Avertissement: Si l'on veut tout comprendre de ce début de post, on gagnera à lire d'abord le précédent "from Tribune")

B&Bis

Ce qui est gênant dans le B&B c'est le "B", je veux dire le second "B". Au motel, le breakfast solitaire est vite expédié. Ici, au "Lizzies Cottage", quand Phyll vous accueille à sa table à 6H du matin, on entame par quelques civilités avant de découvrir un délicieux jus de
cranberry/cherry, qu'on vous sert deux fois, avant de rentrer dans le vif du sujet avec les habituelles étapes qu'on m'avait fortement suggéré la veille: jelly (confiture), coffee (café), eggs (oeufs), bacon, fruit (banane, pomme). Bref, ça prend du temps. D'autant plus que surviennent dans l'ordre Ed, le mari, et... Charles qui vient me dire au revoir. Mais Phyll invite Charles à s'asseoir, ils se découvrent des affinités et... Bref, ce n'est qu'à 8H que je lève l'ancre, soit avec une heure de retard sur mes habitudes.

Headwind

En soit, ce n'est pas très grave, je n'ai que 65 miles à parcourir. Mais ça va le devenir rapidement puisque après 9 miles de répit le vent de sud-ouest se lève et là je comprends tout de suite que ça ne va pas être de la rigolade. Autant vous le dire d'entrée comme ça je n'aurai pas à le répéter, 56 miles face au vent c'est long, très long, c'est dur, très dur. Voici en gros quels sont les problèmes à gérer.


Le vent de sud-ouest prend de 3/4 face c'est-à-dire qu'il vous freine. La première réaction face à un vent de bout, pour employer un terme de marin, c'est de réduire la voilure. Je passe immédiatement sur des braquets qui toute la journée vont tourner autour du 39X23 et 39X26 (pauvre ligne de chaîne!). Les remises à niveau de 2 à 4%, considérées comme broutille les jours précédents vont me contraindre à passer systématiquement le petit plateau. Conséquence, la vitesse tombe dans le premier cas entre 7 et 9 m/H, dans le second à 4/5 m/H.


Le vent de sud-ouest, deuxième inconvénient, me pousse sans cesse vers le fossé et quand la "shoulder" n'est pas large, j'y suis tout de suite. Je dois donc en permanence ramener la roue avant vers le centre de la chaussée. Les effets du vent sont accentués au croisement avec les véhicules lourds. L'effet de souffle me plante (il n'y a pas d'autre mot) et très vite je comprends qu'il vaut mieux cesser de pédaler pendant quelques secondes et plutôt se mettre en boule, tête sur le guidon, pour avoir une chance de conserver le casque bien en place sur la tête et ne pas se le retrouver derrière le cou; en même temps je donne moins de prise. Alors, c'est amusant, si je puis dire, parce que je vois arriver le souffle sur les herbes de mon côté de fossé, qui sont complètement rabattues au fur et à mesure de l'avancée du camion. L'effet de la turbulence dure environ sur 1/4 de mile après le croisement avant que le vent reprenne son souffle régulier.


Les véhicules arrivant par l'arrière créent un autre danger. Au moment précis où la cabine arrive à ma hauteur, la roue avant part à gauche, complètement aspirée, avant de revenir en place. A ce moment là, le vélo fait un bon en avant et je suis "tiré" sur 2 ou 300m. La première fois, la projection de la roue a failli m'envoyer sous le camion. J'ai donc décidé d'orienter la roue vers le fossé au début du dépassement. Ça a très bien marché mais vous imaginez la gymnastique entre les différentes situations qui se succèdent! "Riding in Kansas taught me...": je pense aux mots prémonitoires de Mark Taylor (voir un précédent post).

Texas tacks

Au 30eme mile, vers 11H, j'éprouve le besoin d'un répit et m'arrête à l'entrée d'un champ, 3 ou 4m à l'intérieur, pour poser mon vélo contre un engin agricole et me délasser, manger une pomme que Phyll m'a donnée pour la route (avec une bouteille de
cranberry!), et boire parce que la température commence à s'élever sérieusement. J'en profite pour me crémer abondamment. Bref je repars vingt minutes plus tard bien décidé à reprendre le combat et ne m'arrêter que... quelques mètres plus loin, quand Red Dog se met à tanguer, roue arrière à plat. Ça, ça change tout. Je me réinstalle sur l'herbe et entame la réparation qui, en voyage, commence par plusieurs minutes de préparation pour enlever tous les bagages (il y en a autant à la fin pour les remettre, rassurez-vous). Voyons, voyons d'où vient l'incident. "Watch out for "Texas Tacks", a parasistic thorn that is the scourge of bicycle tires" (faites attention à la Texas tacks, une épine parasite qui est le fléau des pneus de vélo) préviennent les cartes d'Adventure Cycling. Et bien, c'est une belle épine qui traverse mon pneu arrière! Au total, j'en ai pour une demi-heure et j'ai "perdu" entre les deux arrêts la possibilité d'aller beaucoup plus loin dans la matinée. D'après la carte, je suis tout près de la dernière halte correctement équipée en ravitaillement située à RUSH CENTER.

Travel-gas station (station-service et agence de voyages)

Ma première visite est pour la gas station (station-service), où je suis reçu par deux jeunes femmes très agréables (accueil sympa et… look d'enfer). J'achète de l'eau et me renseigne sur le motel de NESS CITY où je dois faire étape. On me dit que le motel est grand, je demande quand même un phone book (annuaire téléphonique) pour réserver. Sur le champ, l'une des pétroleuses se transforme en agent de voyage, me demande mon nom, appelle et réserve une no smoking room ground level (chambre non-fumeur en rez-de-chaussée). "There is a French gentleman..." : voilà un souci de moins.


Au revoir et merci, je traverse la rue, rentre chez Greg, m'installe à la table commune avec trois couples de bikers (motards) parce que tout le reste est complet. On engage la conversation, Harley, vélo, voyage, tout y passe. Ils me demandent pourquoi je ne fais que l'aller alors que le retour est plus facile. Je leur dis que j'y songe et que justement, s'ils voulaient m'échanger une de leurs Harley contre Red Dog, ça m'arrangerait bien. Ils font mine d'hésiter, mais en rigolant et en mangeant on se détend et c'est gonflé à bloc (et Red Dog aussi, je peux vous le dire) que je reprends le combat.

Wind, heat, dust (le vent, la chaleur, la poussiere)

Il me reste 35 miles. Je sais que je ne passerai pas en force. Je reprends les gestes du matin en les améliorant parce que le vent est plus fort. J'y ajoute un zeste de décisions concernant la chaleur qui monte, monte (presque tout l'après-midi à 111F soit 44°): arrêt obligatoire tous les miles pour boire et tous les 5 miles pour boire, manger et m'asperger parce que je suis incapable de maîtriser le vélo si je lâche une main. Enfin, je mets le bandana à portée de main. Il servira plusieurs fois pour me protéger des nuages de poussière de terre soulevés par les engins agricoles qui travaillent dans les champs. Quand j'en aperçois un, je m'arrête, noue le bandana autour du cou, ce qui est très agréable par plus de 40°, et au passage dans la poussière le soulève devant le nez comme les bandits qui attaquaient les diligences.

ALEXANDER

Jacques de Sendets nous en a parlé dans ses comments, c'est à ALEXANDER que je rejoins l'itinéraire de la Transamerica d'Adventure Cycling. M'y voici à 15H30, au 50ème mile de l'étape après 1965 miles d'aventure personnelle. Sans vantardise mais sans fausse modestie non plus, j'estime m'être très bien débrouillé avec les moyens traditionnels que sont les cartes, et sans aucune connaissance de ce grand continent.
ALEXANDER, qu'est-ce que c'est? Un garage/staion-service pourri, deux distributeurs automatiques de boissons, un restroom (toilettes) qu'il faut se faire ouvrir et deux tables bancales. Heureusement que j'ai crevé, parce que si j'avais compté manger ici... A la sortie du bled, j'avise un rest stop (une aire de repos). C'est la première que je vois. Elle est remarquablement équipée, notamment en lavabos automatiques. Je m'y douche la tête: mon compteur affiche 115F!

Les derniers miles

Une étape comme ça se gagne coup de pédale après coup de pédale, je serre les dents, je regarde ce que j'ai déjà fait plutôt que ce qui reste à faire et, quand les camions m'en laissent le répit, j'essaie de penser à autre chose en me récitant des passages des "indiens des plaines" (ruse de Cheyenne). J'ai un gros souci en tête (je me demande toujours comment un type aussi soucieux peut s'éloigner de chez lui de plus de 50km!): Le pocket multimedia center, un trésor qui renferme toutes les photos du voyage, va-t-il supporter de telles températures?


Une série de côtes marquent malheureusement pour moi la fin de l'étape...qui n'en finit plus. Le vent souffle d'autant plus fort que le trajet du jour décrit une courbe qui monte d'abord vers le nord-ouest (c'était ce matin), pour redescendre vers le sud-ouest, j'y suis. Je constate que je ne transpire plus (et pourtant, qu'est-ce que je bois!), je commence à avoir des frissons. A 3 miles de NESS CITY, il me reste un fond d'eau chaude, bidons et bouteilles ayant été avalés. Je dois choisir, boire ou m'asperger. Je décide d'arroser l'arrière de la tête. Du coup, j'ai encore la force de photographier une originale boîte aux lettres, avant d'entamer la dernière côte.


Quand j'arrive au motel pour les opérations d'enregistrement, je pose sur la banque mains et poignets endoloris malgré les gants rembourrés censés les protéger, et je constate que le simple fait d'appuyer mes bras humidifie le meuble. Je transpirais donc un peu!

Veinard

J'ai voulu vous raconter un peu en détail cette journée que j'ai eu la chance de vivre. Sans cela, j'aurais traversé la prairie et les hautes-plaines sans le moindre vent de face, et je n'aurais pas su ce que c'était. Pour une route de l'ouest, j'estime avoir eu jusqu'à présent une chance insolente. Il doit y avoir parmi vous des gens qui sont bien avec les dieux. Encore aujourd'hui, j'ai connu une étape magnifique que je racontais il y a quelques minutes à Hélène. En vous en parlant brièvement, je vais répondre à mon confrère et ami Alain Peiré qui se demandait l'autre jour si je prenais plaisir à ce voyage.
Alors, toi qui fais du vélo, Alain, essaie d'imaginer un départ à la fraîche, à 7H, légère brise arrière, la brume nocturne commence à se lever, tu donnes les premiers coups de pédales sans appuyer pour lancer les deux machines. Ça avance tout seul. Ton ombre te précède. Un panneau: 96 west. Devant toi, la route rectiligne t'offre une chaussée parfaitement lisse. Tu n'entends même pas le chuintement des pneus sur le revêtement, juste le petit ronronnement du vent dans les rayons. Sus la carrerra, pas un gat (ça, c'est pas de l'Américain: sur la route, pas un chat), et quand je dis pas un chat, c'est vraiment personne; ce matin six voitures dont celle du sheriff pour les dix premiers miles: six voitures en 16km! Ton corps ne fait aucun effort, tu es bien, tout simplement. Autour de toi, la vue s'étend de tous côtés jusqu'à l'horizon, pas une maison, pas un arbre, tu es solitaire dans le silence, l'immensité, l'espace. D'ailleurs, je pensais ce matin à propos de ton comment, si je devais caractériser ce voyage par un seul mot, ce serait celui-là: espace. J'ai fait l'autre jour une comparaison avec l'océan. Finalement, je ne l'avais pas vu au départ, il y a continuité entre la traversée en cargo et cette promenade en vélo. J'ai l'espace physique, temporel d'une part avec une très longue route (trois mois, le terme est lointain), dimensionnel d'autre part avec ces paysages illimités: j'ai la même sensation quand sur la route je fais tourner ma tête de 180 degrés que celle que j'avais sur la mer en faisant le même geste. J'ai aussi l'espace spirituel avec la solitude; certes je dois prendre toutes les décisions, mais j'ai aussi toutes les libertés.


Alors, évidemment, si on aime voir une église romane tous les 5 km et un château féodal tous les 10, on ne vient pas ici. J'aime les églises et les châteaux et les pratique depuis des années. Mais ici, j'y suis pour autre chose. C'est là que je voulais être et j'y suis, et le temps est superbe, et j'ai le vent avec moi et je vois la même chose pendant des miles et des miles et ce n'est jamais pareil. Ça aussi c'est comme l'océan. Tu restes deux heures à regarder la mer, tu ne t'ennuies pas. Ici je reste cinq, six, sept heures sur la route et je ne me lasse pas. Plusieurs fois il m'est arrivé de voir une belle lumière, et je me dis: "en bas de la descente (ou en haut de la montée) je m'arrête et je fais une photo". C'est trop tard. Il n'y avait que de l'ocre, une tâche vert foncé est apparue; Il y avait un mélange de turquoise, d'absinthe et de gris, ils n'y sont plus.


Il y a certains plaisirs qui me sortent de la contemplation du paysage ou d'un rêve profond et qui sont une activité à plein temps. Par exemple, comment pédaler pour faire durer l'étape? Tirer sur les pédales au lieu de pousser? Couper le pédalage par intermittence? pédaler très léger en laissant le pédalier entraîner les jambes? Autre exemple: dans ces espaces déserts, la plupart des conducteurs, voitures, motos ou trucks, me saluent, mais pas tous. Au croisement (si rare!) d'un véhicule je dois être en mesure, par politesse, de rendre le salut quel qu'il soit: doigt pointé vers moi sans lâcher le volant, main sortie à plat par la vitre, etc.


Crois-moi Alain, ça me change vraiment de l'article qui n'est pas en vitrine, de la pointure qui manque ou de la chaussure qui se décolle. C'est bien aussi, la chaussure qui se décolle, mais ce n'est pas la même sensation.


Comment ne serais-je pas heureux?

Les bienfaiteurs (suite)

J'ai fait d'autres rencontres surprenantes. Dimanche matin, à SCOTT CITY, j'ai pris le breakfast dans un restaurant. A la table voisine, un couple a engagé la conversation, nous avons bavardé un moment et, puisque j'étais servi, la dame a dit à son mari de me laisser manger. Ils ont terminé juste avant moi. Comme ici on paie généralement à la caisse, ils se sont levés. En passant, le monsieur a pris ma note sur la table et a payé pour moi. Ils s'appellent Mary-Beth et Denis Fund. J'ai leur photo mais ici je ne peux pas en envoyer. Ils étaient là pour une journée géologique. Ils m'ont appris qu'on soutire du pétrole du sol du kansas depuis 100 ans cette année.


Avant-hier soir, toujours au restaurant, à TRIBUNE, un couple m'a proposé de venir m'asseoir à leur table. Je les ai croisés hier sur la route vers EADS. Nous nous sommes arrêtés chacun, pour dire deux mots. Je retrouve le monsieur le soir au restaurant à EADS. Nous avons mangé ensemble. Au moment de payer, la serveuse me dit que c'était déjà fait.


Henri Dusseau me l'avait dit: côté alimentation, c'est vraiment pas cher, les USA!

The Ghost of the Green House

Je termine par du surprenant. En arrivant a TRIBUNE, je suis le premier client au restaurant. Pour moi il est 12H15, pour les autres il est une heure de moins, je suis passé au Mountain time juste avant d'arriver. Je demande à la dame si le motel est bien, elle me dit que ce n'est pas propre mais m'indique un B&B. Je le trouve après de nombreuses péripéties (visite au sheriff et tout et tout). Il n'y a personne. J'y reviens début d'après-midi de la nouvelle heure: encore personne. Je ne sais pas pourquoi, au lieu d'aller au motel, je m'entête. La maison est à un angle de carrefour. Au lieu d'aller me renseigner à la maison de l'angle contigu, je vais à la maison opposée. Je la "sens" mieux. Je sonne, une dame sort, je lui demande si les propriétaires sont absents, elle me dit d'attendre, donne un coup de fil, ressort un moment après, me conduit a la maison, prend la clé sous le paillasson, m'introduit, me demande de choisir une chambre, me montre la salle de bains, la cuisine, le contenu du frigo me dit le prix (50$) et me dit que les gens vont rentrer tard. Je rentre le vélo. Je suis dans une maison superbement meublée, tout est d'un raffinement incroyable (vous verrez les photos), j'ai choisi la seaside cottage room (chambre de la petite maison en bord de mer), toute bleue, décorée sur le thème des phares. Je me douche, lave mes affaires, écris des projets de message, vais dîner au restaurant avec le couple dont j'ai parlé ci-dessus, reviens: personne. Finalement je me couche vers 22H30. Quand je me réveille à 5H30, je vais à la salle de bains. Rien n'a bougé. Je suis toujours seul dans la "green house" (la maison verte), comme un fantôme ("ghost"). Je déjeune, écris sur le guest book (livre d'or), laisse 50$ dans une enveloppe et c'est là que je vois un chèque de 50$ avec un commentaire. Je comprends alors que je ne suis pas le premier ghost guest de cette luxueuse maison que je quitte à 7H en mettant la clé... sous le paillasson.

Génial et gonflé (commentaire de vos commentaires)

Voyager ce n'est pas être génial mais quand on connaît l'auteur du propos on ne s'en étonne pas. Cette personne emploie les mots comme elle vous sert le vin blanc: avec générosité.


Quant aux têtes ou aux chevilles qui gonflent, je vous annonce pour après-demain une montée de 50 miles pour atteindre les 2800m d'altitude: j'espère que les mollets seront plus gonflés que quoi que ce soit d'autre.

Vous ne m'en voudrez pas si je suis silencieux quelques jours parce que je vais passer à un exercice qui risque de rendre très compliqué le temps de l'écriture. Mais à 3 miles/H, je vais avoir beaucoup de temps pour penser à vous tous, la famille, les amis et les inconnus. Il faut bien le dire: ce blog, c'est beaucoup de travail, mais c'est... gé-ni-al.

So far, so good.

From Tribune (Kansas)

June 12th

TheFront Porch in MCPHERSON

S'est-il pris soudain pour la monture du Pony Express qui rallia Saint-Louis (Missouri) à Sacramento (Californie) en onze jours au mois d'avril 1860? Toujours est-il que Red Dog, ce chien de prairie, ce coyote, poussé par un vent favorable, m'a porté de MARION à MCPHERSON à l'allure record de plus de 13 m/H (21km/H). J'ai dû faire rougir les patins de freins pour l'arrêter devant
The Front Porch, une fraîche oasis aux verts et mauves irrésistibles. J'ai bien fait d'imposer ma loi à la bête parce que la Mamie Eva, le petit-fils David et la copine Angela m'ont entouré comme un coq en pâte. Ils ont exigé une photo, du coup j'ai sorti ma camera (appareil photo).


Avant mon départ, Angela m'a suggéré le motel
Days Inn. Je l'ai écoutée et j'ai bien fait: accueil très sympa, chambre confortable et ordinateur à disposition. Petit problème: la vieille bécane a chauffé et j'ai perdu deux heures de travail sur un dossier "routes" que je vous avais préparé! Dépité mais pas abattu, je me suis consolé au restaurant voisin avec une soupe à l'oignon et un saumon grillé (il ne manquait que le rosé).

On foot (à pied)

Le lendemain, le temps couvert au départ est un bon signe d'absence de vent. La route est très belle, très sure, et le trafic moyen. Quand le beau temps s'impose, vers 10H, la brise se lève sud. S'il n'y a pas péril en la demeure, je note un effet de souffle très important au croisement des véhicules lourds. Peu avant midi, je suis arrêté par le conducteur d'un camping-car qui m'avait dépassé quelques instants plus tôt en klaxonnant gaiement. De l'engin de Dick descendent deux jolis coquelicots coiffés d'un identique bandana rouge. Les donzelles s'appellent Patty Laatsh et Robin Grapa. Parties du Maryland avec de confortables chaussures et un sac conséquent, elles traversent les USA vers SAN FRANCISCO mais... on foot! Je leur dis: "I can't imagine such a trip" (je ne peux pas imaginer un voyage pareil). Elles me disent qu'il n'y a pas de différences d'esprit entre les randonneurs. J'en vois deux: la coiffure et le Red Dog.


Oil wells (les puits de pétrole)

J'arrive très tôt à GREAT BEND et la "zone" (commerciale) où, comme toujours, se trouvent les motels est à l'ouest de la ville que je traverse donc. J'ai déjeuné peu avant à ELLINWOOD chez John Henry, un restaurant où il y a beaucoup de pick-ups sur le parking, ce qui est toujours très bon signe. Heureusement d'ailleurs qu'il y a ce signe de vie parce que, même habitué, je me demande si c'est réellement un dinner: baraque en tôle, "John Henry's" sur la porte (le "s" signifie "chez") et un panneau "open" (ouvert). C'est tout. A l'intérieur, c'est bourré: ouvriers de tous poils, couples, jeunes et moins jeunes, rien que des habitués et ... moi. Si je dis ouvriers de tous poils, c'est justifié: au milieu des étendues de céréales sur lesquelles travaillent d'énormes engins agricoles, j'ai observé toute la matinée des puits de pétrole comme nous en voyions beaucoup autour de Lacq à une époque. Je ne savais pas que le Kansas était un autre Texas.

B&B

C'est donc dans la traversée de GREAT BEND que tout s'enclenche. J'aperçois le logo "library" qui m'incite à aller voir les heures d'ouverture et passe en revenant devant
The Great Bend Tribune, un journal. Je m'y arrête pour demander à la réceptionniste si elle ne connaîtrait pas par hasard un B&B. Elle en connaît un, décroche the phone et appelle pour voir s'il y a de la place: c'est libre et c'est 55$, le prix d'un motel bon marché. "Is it far from here?" (c'est loin d'ici?). C'est derrière la library! Quel pot! Je n'en serai pas quitte comme ça. Vous devinez ce qui m'arrive: on me demande une interview. OK, dis-je, but after the shower (mais après la douche). Quelques secondes plus tard, je suis accueilli par Phyll au "Lizzies cottage". Phyll est une petite femme simple et directe avec qui le courant passe. Elle me montre la chambre et me demande ce que je veux pour le breakfast du lendemain: coffe? eggs? bacon? fruit? jelly? Et moi: yes, yes, yes, yes et yes à tout. C'est croquignolet à souhaits; dans la salle de bains, la baignoire à l'ancienne voisine avec la petite vasque en cuivre et dans la chambre un grand ventilateur de plafond donne un peu d'air chaud à la commode de style et au grand lit bleu couvert de pillows (oreillers) décoratifs. Ce n'est pas encore ce soir que je dormirai sous la tente!

Au Great Bend Tribune

Chose promise, chose due: lavé et changé, je me présente au journal. Terry Spradley m'accueille. C'est un souriant moustachu très branché vélo. Il veut tout voir, tout savoir cartes sur table, et fait pas mal de photos dont celle du logo de Red dog (Il en a envoyé trois sur le mail d'Éric, vous les verrez). Arroseur arrosé, je le saisis moi-même devant son ordinateur où il consulte le blog. Au total, ce n'est qu'une demi-heure plus tard que j'arrive à la library pour vous envoyer le post précédent que je sauvegarde (voir "From Great Bend") avant de reprendre mon dossier "routes" perdu à MCPHERSON. Au moment de publier, Blogger m'annonce un problème de maintenance: deux heures de travail à nouveau perdues! Doublement dépité mais encore vivant je me fais conseiller un excellent restaurant mexicain où je me régale de chips de maïs et de haricots. Non mais!

Charles

Au retour, avant de rentrer mon vélo, je fais deux ou trois photos du Lizzies Cottage, quand je suis hélé par un mince et bronzé barbu qui fume la pipe sur le muret de l'église, de l'autre côté de la chaussée. Je reconnais un cycliste que j'avais vu passer dans l'après-midi quand je cherchais la library. C'est ainsi que je fais la connaissance de Charles.


Qu'est-ce qu'il fait, Charles? Du vélo, je viens de vous le dire. Il est parti de chez lui, c'est-à-dire de TAOS, au nord du New Mexico et il se rend à CHICAGO où vivent ses parents. Actuellement, il est en congé. Quand il travaille, c'est dans l'environnement et j'ai l'impression qu'il a pas mal bourlingué sur la planète. Il enseigne aussi l'Anglais à de jeunes étrangers. Côté vélo, il est responsable pour les USA de la mise sur pied d'un projet visant à faire chaque année du mois de juin "the world bicycle month", le mois mondial du vélo. Par exemple, il va organiser en 2007 une concentration des cyclistes américains dans le Kansas, centre des USA. Je lui ai demandé si la FFCT (110.000 members, Charles!) était dans le coup, il m'a donné une liste de pays anglo-saxons.


Il ne faut pas commencer à écouter Charles si on veut se coucher tôt. D'abord, c'est un homme de "parole" qui s'exprime doucement, posément, déroule à la perfection les mots et ceci dans un excellent "Anglais" (notez que je n'ai pas dit "Américain"!), un Anglais dont aucun mot ne m'échappe. Ensuite c'est un homme de Foi, lui aussi. Il me dit que Dieu travaille en lui et me parle de ses convictions religieuses dans des termes identiques à ceux de Pamela. Enfin, c'est un homme d'idées et de convictions, plutôt optimiste (rêveur?). Par exemple, il pense que les questions environnementales concernent de plus en plus de gens aux USA. Mais quand je lui dis qu'en un mois d'insertion dans cette société je comprends pourquoi les Américains font la guerre pour le pétrole, je sens que je lui fais du mal. Il me parle aussi avec beaucoup de force de sa famille et me dit que son père a débarqué en France le D day, le jour J, où il a été blessé deux fois. Quand je lui dis que personnellement, en tant qu'Européen, je pense devoir beaucoup aux hommes qui se sont sacrifiés ce jour-là, là je lui fais du bien. Bref Charles est une personnalité. Alité, moi, je ne le suis que très tard, mais sans regret.


So far, so good.