V2V TRIP

Du vignoble du Jurançon aux vignobles de la Californie, traversée d'un océan en cargo et d'un continent en vélo. From Jurançon vineyard to Napa Valley vineyard, through the Atlantic ocean by cargo ship and from New York to San Francisco by bicycle.

From Cortez (Colorado)

June 21st

A l'exception de Sarah qui connaît mes sources puisqu'elles furent nos bases de travail pour les derniers cours d'Anglais, je doute que vous connaissiez l'origine du nom de la ville où j'ai fait étape lundi soir, TELLURIDE. Dans les années 1880, l'endroit n'était pas comme aujourd'hui une plaisante station touristique, mais au contraire une cité minière où on extrayait l'or et l'argent et c'est probablement au tellurium, un élément souvent associé aux deux métaux, qu'on doit le nom de TELLURIDE. Mais la légende propose une autre version, celle de "to hell you ride" (tu chevauches vers l'enfer) pour la bonne raison qu'il y avait ici vingt-six saloons et douze bordels. Les esprits imaginatifs vont penser que je suis allé vérifier s'il ne restait pas à TELLURIDE quelques traces de cet univers de débauche, histoire de me divertir un peu après deux mois de solitude. Et bien croyez-moi si vous le voulez, j'étais beaucoup trop fatigué pour penser à ça. Mais revenons au début.

West Elk Loop

Je vous avais laissés à GUNNISON que j'ai quittée dimanche matin en longeant la "river" du même nom pour me trouver au bout de quelques miles dans un univers enchanteur. Retenue par un barrage et enfoncée dans un canyon, la rivière serpente en boucle ("loop") au pied de la roche. C'est une féerie de couleurs. Je ne sais pas si les photos suffiront à restituer la beauté de ces paysages. En s'approchant du barrage, le réservoir de la West Elk Creek offre lui une belle palette de bleus qui prolonge les ocres, rouges et roses de l'amont. Inutile de vous dire que je n'ai pas fait beaucoup de vélo, à proprement parler, mais plutôt du "stop and go" (s'arrêter et repartir) tellement chaque détour, chaque courbe, chaque petit changement d'orientation offrait une nouvelle et somptueuse perspective. C'est là tout le plaisir du voyage de découverte, quand on ne sait pas en partant le matin ce qu'on va voir dans la journée, quand on ne sait pas ce que va vous proposer la sortie du prochain virage.

La "Blue Mesa" (la montagne bleue)

La suite n'était pas moins intéressante. Arrivée au barrage, la route a pris de la hauteur au milieu de buissons turquoises dont je serais bien incapable de vous donner le nom, mais qui donnent à la montagne cette couleur bleue qui lui a valu son nom. Et c'est vrai, le paysage est bleu, un bleu qui tire très légèrement sur le vert. vous imaginez le contraste étonnant avec le bleu profond du réservoir qui s'étale au creux des pentes.
Le profil de la carte ne le laissait pas supposer mais la route s'est tout a coup enfoncée dans des gorges sombres par une pente de folie... qu'il a fallu annuler en remontant à pic sur l'autre côté pour aboutir à un immense plateau où divaguaient de nombreux bovins. Un autre versant, un autre paysage, il n'y a pas eu de quoi s'ennuyer. Pour terminer cette matinée je suis descendu sur CIMARRON (les jeans?), où je pensais déjeuner.

CIMARRON, ça conserve

Je commence à avoir quelques doutes sur la fiabilité des cartes d'Adventure Cycling et l'épisode de CIMARRON n'y est pas pour rien. Motel: une ruine (fermé); restaurant: idem. J'avance au milieu de carcasses de voitures rouillées et découvre enfin une épicerie/station-service. J'entre. Un monsieur tranquillement assis derrière le comptoir m'accueille. Il ne propose aucune restauration, à l'exception de ce qui se trouve sur les étagères et dans les armoires réfrigérées. C'est là que l'impossibilité d'avaler un sandwich devient un problème. Mon choix se porte sur une boite de thon en conserve, du fromage sous vide et un fruit. Heureusement que j'ai quelques petits compléments dans les sacoches.

Le Cerro summit

Ce n'est pas grand-chose mais ça suffit pour me caler avant d'aborder l'ascension du Cerro. L'épicier me dit que je n'ai pas de chance avec le vent. Il vient de tourner et je vais l'avoir de face. Je sais maintenant ce qui m'attend par 105F de température, du 8% de pente, et des bourrasques qui vous "plantent". Je reprends donc les habitudes des grosses ascensions, arrêts boisson et ravitaillement fréquents, pour vaincre cette difficulté qui ne dure fort heureusement que 5 miles. La descente vers MONTROSE est très pentue mais extrêmement dangereuse en raison d'une chaussée en très mauvais état. Je m'en tire sans encombre en limitant ma vitesse à 16/17mH. C'est dommage parce que 15 miles de descente en fin d'étape, c'est un petit plaisir qui vaut bien un Ricard bien frais. Celui-ci était tiède.

54 miles d'ascension

Je ne vous l'avais pas dit pour ne pas vous inquiéter, mais l'étape MONTROSE -TELLURIDE était celle que je redoutais le plus, avec un total de 54 miles de montée, dont 39 en continu depuis le départ. Dès que j'aborde la ligne droite de la highway 550 à la sortie de la ville, je sais que ça va être encore plus difficile que prévu. J'ai le vent en pleine poire et la circulation est infernale. La shoulder est large mais comme toujours sur les grandes routes très sale, et comble de malchance avec ce gros trafic elle s'interrompt par deux fois. La pente est faible mais continue et je n'arrive à RIDGWAY (28miles) qu'à 10H. Mon capital temps est déjà bien entamé et ça ne va pas s'améliorer avec un achat de fruits et une caissière bavarde (quoique délicieusement jolie) plus deux restaurants du centre-ville fermés (en pleine saison!). J'étais déjà sur la route du Dallas Divide, le grand col de la journée, je dois redescendre sur la 550 pour trouver un établissement ouvert. C'est plein de monde. Je vois une serveuse qui apporte une belle assiette à une table. Je lui demande ce que c'est et commande la même chose. Du coup en une demi-heure j'expédie l'affaire. Il m'était indispensable de me restaurer ici parce qu'après... rien jusqu'au bout!

Le Dallas divide

Culminant à près de 9000 pieds (environ 2700m, Daniel dont je salue l'apparition dans le cercle, confirmera), le Dallas divide commence dès la sortie de RIDGWAY. La pente est très faible, 2 à 3%, ce qui n'est pas le cas du vent, un mur. Je suis déjà sur mes plus petits braquets, vous imaginez mon inquiétude. Quand la pente devient sérieuse, c'est du 7 à 10% en permanence, avec des portions courtes mais infernales (le compteur a enregistré une pointe à 17%). Au gré des lacets, le vent m'oublie ou me cueille. Comme dans la forêt de San Isabel, je suis ballotté. Je me bats, les dents serrées, pour franchir certains passages, le tout dans un bruit d'enfer avec un trafic qui ne faiblit pas. Il y a aussi le bruit du vent. C'est terrible le bruit que fait le vent dans les oreilles, à tel point que quand le vent est contraire on commence par l'entendre avant de le sentir. Il me faut 2H15 pour venir à bout des 11 miles de l'ascension. Au sommet, j'ai un début d'ampoule à l'intérieur des pouces tellement j'ai serré les cocottes de freins!

An argument (une dispute)

Suivent 13 miles de descente que je suis obligé de négocier avec la plus grande prudence tellement le vent est fort et menace de me renverser. Mais enfin ça descend! Arrivé a PLACERVILLE, la route change complètement d'orientation et enfin c'est le silence: plus de vent. Je respire parce que ça recommence à monter, mais évidemment, avec le vent dans le dos, ça change tout. Je parcours quelques miles très agréables dans des canyons étonnants. La roche des falaises est rouge et offre un beau contraste avec le vert sombre des sapins qui s'y accrochent.


Le répit ne va pas durer longtemps puisque cette montée vers TELLURIDE, terme de l'étape est le début du Lizard Head pass que j'escaladerai le lendemain. Tout d'un coup, la pente passe de 3 à 8. Il y a sur cette route étroite à peine moins de circulation que sur la 550 et la 62. Il y a surtout beaucoup de camions. J'essaie de tenir ma ligne autant que possible, mais avec les sacoches la roue avant divague un peu. Je me fais klaxonner plusieurs fois. Jusqu'au moment où un gros camion, que j'ai vu arriver dans le rétro, refuse de ralentir alors que le flot descendant ne lui laisse pas la place de passer. Dans un réflexe vital, je pars dans le sable. Mais là, au bout de la fatigue et de la tension nerveuse, je pète les plombs. Je descends de vélo, je lui montre le poing dans son rétroviseur, je lui crie "murderer" (assassin), "killer" (tueur) et, en Français, quelques autres mots qui vous feraient rentrer la tête dans le cou si je vous les disais. Du coup, le flot des voitures qui suit le camion s'écarte de deux bons mètres en me dépassant et une dame me fait un signe d'apaisement. Bon. Je bois un peu. Et ça repart. Je finis de franchir ces 3 miles difficiles pour arriver sur le plateau de TELLURIDE. Je suis cuit. Je m'arrête pour me ravitailler. A ce moment là, le camion repasse dans l'autre sens et le chauffeur me crie quelque chose. Il a droit de ma part à une resucée du premier épisode.

Red Dog dans de beaux draps

Une piste cyclable permet sur 3 miles d'arriver à TELLURIDE. Ici, je crains le coup de barre. J'ai vu les prix des hébergements sur un document touristique. Un monsieur me dépasse en VTT. Je lui demande s'il peut me recommander quelques chose. Il me conseille la Victoria Inn et m'en indique très bien l'emplacement. C'est un tuyau de premier ordre. Il y a une chambre libre et le prix est correct. Seul obstacle, Red Dog est interdit de chambre, il devra dormir dans la rue. Faut vous dire que c'est quand même un peu "chicos", même si c'est le meilleur rapport qualité/prix de la place. Après l'étape que j'ai dans la tête et dans les jambes, je ne suis pas trop d'humeur à discuter. De toute façon, le réceptionniste est un garçon intelligent et, en plus, parle très bien Français. Il comprend a mon ton calme mais ferme (en Anglais) que ce sera le vélo dans la chambre. Est-ce l'avantage de bien présenter même si on a la peau un peu collante et les cheveux un peu en désordre? Nous transigeons sur un drap pour protéger la moquette, et le vélo dessus.


Et vous comprenez maintenant pourquoi je n'ai eu à TELLURIDE qu'une idée en tête: dormir.

Le Lizard Head pass

C'est le deuxième 10000 de la route (10222 exactement) et comme ce fut le cas pour le Monarch ce ne sera pas un épouvantail, tellement l'étape est différente de la précédente: 15 miles de montée et... 63 miles de descente jusqu'à CORTEZ où je sors des Rocheuses. Malgré tout, l'ascension n'est pas aussi agréable que celle du Monarch à cause... du vent, mais aussi du profil. Autant le premier était régulier et sans à-coups, autant celui-ci est une succession de pentes très difficiles puis de plateaux, de redescentes, de remontées, etc. A un moment, sur un replat, justement, un vététiste me dépasse en me disant quelque chose que je ne comprends pas. Un demi-mile après, je le vois faire demi-tour au pied d'une montée. Quand j'aborde la côte j'en comprends la raison: 12% d'amblée au compteur.


Les paysages grandioses et la très faible circulation font oublier le mal aux jambes. Au sommet, je discute avec un jeune automobiliste dont le meilleur ami est Français. Il me dit que les USA ne sont pas un pays pour faire du vélo et qu'il trouve les vins californiens minables à côté des vins français. Nous verrons ça dans... quelques jours.

Changement de cap

Il me faut conclure. Je m'accorde donc une journée de repos à CORTEZ et demain jeudi je vais, en voiture, faire 200km vers le nord pour aller visiter Arches National Park. Ce parc national n'est pas le plus connu, mais pour moi il rentre dans les priorités. Il n'est pas sur ma route et de toute façon impossible à visiter en vélo. D'où l'option Rent-a-car.
Pour la suite, je vais beaucoup vous décevoir en vous annonçant que j'abandonne... la route d'Adventure Cycling, et ceci pour deux raisons essentielles.


La première est que je suis très fatigué et il m'est impossible physiquement, je dis bien impossible, de faire une étape de montagne par jour face au vent pendant trois semaines de plus, avec des possibilités d'hébergement de plus en plus rares et donc des étapes de plus en plus longues à l'approche du désert.


La deuxième raison est que j'ai des priorités, comme je viens de le dire pour Arches. La première des premières, c'est Monument Valley. L'endroit est au sud de la route, je le situe maintenant très bien. J'ai déjà réservé deux hébergements pour m'y diriger en fin de semaine. Ensuite j'aviserai. J'irai peut-être vers le Grand Canyon du Colorado et vers Brice Canyon. En tous cas, pour rejoindre le Pacifique, je vais passer par le sud des déserts en traversant l'Arizona et en remontant la California depuis la hauteur de LOS ANGELES. Je vais donc à nouveau me créer un itinéraire. Ça ne me gêne pas du tout car il y a une troisième raison annexe. J'ai perdu confiance dans la fiabilité des renseignements d'Adventure Cycling et je m'en sortirai aussi bien tout seul. Si la route est trop longue, je louerai un véhicule.


Rassurez-vous, ce n'est pas fini. On va encore s'amuser.

So far, so good.


6 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard
après 15 jours de vacances bien méritées, (il n'y a pas de mal à ce faire du bien), il me tardait de lire ton avancée vers l'ouest, j'allais écrire ta ruée vers l'ouest. Mais la ruée me fait penser au mot vitesse et la vitesse dans le sens rapidité n'est pas ce que tu recherches.
La découverte de nouveaux paysages, c'est ce qui me plait le plus quand je ride. Voilà que j'écris anglais maintenant !!
Pour info j'ai passé mes congés en croisière sur les canaux et fleuves de Russie. il y a aussi matière à découverte dans ce pays. Peut-être sera-ce une de mes périgrinations à VTT plus tard.
tu avais demandé il y a quelques temps déjà des nouvelles de JP Méliande, je crois bien qu'il a attaqué son tour de France.
J'ai parlé de toi à mon beau-frère, qui à ma grande surprise te connait de l'école. Alain Mesples, fils du coiffeur de la rue du 14 juillet: "Pomadin". Le monde est vraiment trop petit.
Tout ça fait un peu décousu comme conversation, mais ça vient comme cela
@ + Jean-Luc

12:17 AM  
Anonymous Anonyme said...

Ouf, tu ne te laisses pas griser par l'aventure!
Même les forçats tu tour de France ont droit à quelques journées de repos. Gaffe aux camions, nous en avions parlé un soir...Telluride devait être uine ville sympathique autrefois, pas le temps de s'ennuyer pour le poor lonesome cow boy.Profites bien de ce repos raisonnable et attention à la boite automatique, j'ai le souvenir d'un coup de frein intempestif(je croyais débrayer) en plein centre de Montréal....

9:02 AM  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard!
quelle aventure magnifique! et nous lecteurs nous voyageons aussi intensément que toi mais sans la fatigue!
Ouf, après la lecture de cette journée épuisante et dangereuse, nous sommes tous rassurés que tu prennes la voiture! N'oublies pas quand même de commenter tes journées de visite en voiture. As-tu averti Red-Dog qu'il allait prendre un peu de repos dans le coffre d'une voiture?
Très bonne continuation!
A demain sur le blog!

10:09 AM  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard,
Bravo et félicitations pour cette traversée des USA. Ton blog est trés intéressant. Bonne continuation et "All the best!"
Tu as aussi le Bonjour de plusieurs de mes collègues des "Espoirs Lonsois".
Alain

11:16 PM  
Anonymous Anonyme said...

Bernard-

It was a pleasure meeting you on Monarch Pass and to hear about your inspirational journey. It was particularly nice to hear how you are sharing your travels and adventures with like-hearted friends in family in France! I have been climbing and cycling around Santa Fe, New Mexico and Durango, Colorado while living in my camper. My girlfriend Erin and I are now headed to Wyoming to climb in the Tetons. Later we will climb in Canada and then drive to Central America to surf and camp. Good luck with your grand finish in San Francisco. I found ending tours to be both sweet and difficult because you want them to go on! Your friend, Sean Barry

6:50 PM  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard et chapeau! (je n'ai pas fait exprès mais c'est un élément de ton personnage.)
L'engagement associatif que j'ai ralenti existe toujours même à Saint-Jean-de-Luz où je sévis désormais, m'a amené à reprendre contact avec Hélène. Elle m'a fait part de ton périple que j'avais quitté au stade de projet. Je dois te faire part de mon respect devant sa réalisation tant il est vrai que le courage la persévérance la domination de la douleur physique et parfois la détresse morale sont louables. Le but est proche mais c'est aussi la fin d'une aventure extraordinairement enrichissante qui se termine et qui sera aussi, en partie, source de regrets. L'excitation de la découverte sera passée. Il te restera bien sûr avant tout des millions d'images et des anecdotes. De quoi préparer un livre, suite logique d'un tel baroud. Bravo donc, tous mes encouragements pour la dernière ligne droite. Les soirées souvenir ne manqueront pas. Tu vas en meubler plus d'une. Deviendras-tu conférencier? Je t'accueillerais avec plaisir dans mon école pour un récit hors du commun qui m'intéresse toujours.
Bonne route and enjoy a happy end of journey. See you later. Friendly.
gérard SOULE

3:11 PM  

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