V2V TRIP

Du vignoble du Jurançon aux vignobles de la Californie, traversée d'un océan en cargo et d'un continent en vélo. From Jurançon vineyard to Napa Valley vineyard, through the Atlantic ocean by cargo ship and from New York to San Francisco by bicycle.

From Great Bend (Kansas)

June 8th

"Rouler en vélo entre deux haies de fougères transfigurées par l'automne, voilà un triomphe! Que sont à côté vivats et ovations?"

J'aimerais commencer ce post en adressant à ma sœurette préférée tous mes souhaits de rétablissement rapide. Je suis heureux de savoir que, finalement, les dégâts sont minimes. Tu les prends, Suzanne, avec bonne humeur et distance. Je pense que tu as raison. Seul l'esprit, s'il souffle sur la glaise, peut créer l'être.

Là où je ne te suis pas, par contre, c'est lorsque tu emploies des mots comme anonymat et célébrité. Il n'y a pas ici une vedette et un public mais simplement un promeneur qui dit ce qu'il voit, ce qu'il apprend, ce qu'il ressent. Il y a, d'autre part, une famille et une grande communauté d'amis venus d'horizons divers (ce sont les strates d'une vie!) qui, par leurs messages, lui apportent leur voix, leur visage, leur humour, leur amour. Le promeneur est solitaire. Grâce a tous ceux qui l'accompagnent il n'est jamais seul.

C'est pourquoi j'ai placé en exergue cette belle réflexion qui m'est revenue l'autre jour alors que je photographiais les fleurs dans la solitude et le silence des Flint Hills. Je pense qu'elle correspond tout à fait à l'esprit de cette escapade. Elle est de Cioran, l'écrivain roumain (à ce propos, salut amical au commandant Stavar-Vergea et à tout l'équipage du Hudson, je sais qu'ils nous suivent).

Béton armé

Les problèmes d'entrejambes (je change radicalement de sujet!) ayant dernièrement pris une importance... disproportionnée, je dois vous faire part de mes petits soucis dans cette région du corps (observez que rien ne vous est caché, nous sommes loin du Watergate). Les shorts cyclistes que j'avais emportés n'étaient pas adaptés à une pratique quotidienne. J'ai eu la peau brûlée par les coutures, jusqu'au sang, à tel point qu'un jour j'ai pratiquement parcouru les 5 derniers miles debout sur les pédales. "C'est dur le vélo, qu'est-ce qu'il faut être con pour aimer ça" (carte postale humoristique reçue un jour de mes amis de l'Académie). Vous comprenez donc pourquoi, en plus des déchaînements de Red Dog, le cycliste avait besoin de passer par les
bike shops. Les achats ont été judicieux, la pommade a fait le reste, et je vais donc pouvoir continuer puisque j'ai retrouvé des fesses en béton. Vous me voyez venir: béton plus... acier, me voici bien "armé" pour la suite.

Les ponts

A propos de béton armé, je reviens sur une question de J de J qui n'est pas passée à la trappe de l'oubli:"Pourquoi photographies-tu tant de ponts?" Il y a deux raisons.


La première c'est que les ponts enjambent souvent des cours d'eau qui, sur un itinéraire, sont autant de marqueurs. Regarde, John, cette liste de noms superbes: Hudson river, Susquehanna river, Potomac river, Ohio river, White river, Wabash river, Copper river, Illinois river, Mississipi river, Missouri river, Arkansas river. Imagine tout ce qu'elle représente pour moi. La première par exemple, la Hudson river, c'est l'arrivée à Newark sur ... le Hudson, une balade en vélo sur la berge avec Gerry deux jours plus tard, puis le lendemain le départ de l'aventure avec le franchissement du Georges-Washington Bridge, plus loin l'endroit où étaient rassemblés tous les soldats avant leur départ pour l'Europe pendant la deuxième guerre mondiale, etc.

La deuxième raison, c'est que les ponts sont des ouvrages... d'art et pour le photographe que je ne suis pas, avec un appareil compact automatique, c'est la garantie de saisir quelque chose de l'insaisissable qu'ils surplombent. Par exemple, tu as dû être déçu par la Mississipi river. Pour tenter de la photographier, j'ai dû m'avancer sur un pont à deux voies de circulation sans la moindre marge entre la chaussée et la rambarde que je devais escalader pour éviter les voitures. J'ai fait ainsi 50 mètres avant de revenir en courant sur la berge, vivant!

Même les petits ponts ont leur charme. Sur le Katy Trail j'ai souvent relevé l'objectif pour montrer le ciel dans un quadrillage léger. Ce que tu n'as pas vu, c'est la chaussée en bois, ce que tu n'as pas entendu c'est le ronronnement du caoutchouc, ce que tu n'as pas senti c'est les parfums mélangés de l'eau, des mousses et des arbres. Mais ça, c'est à toi de l'imaginer.

Merci en tous cas de traduire les panneaux pour celles et ceux qui ne comprennent pas l'Américain, à commencer par ma maman qui est aussi un peu la tienne.

Le Grand Tournant

Je suis à GREAT BEND. Le bend, c'est le tournant. C'est aussi le coude, pour une rivière. C'est le cas ici puisque l'Arkansas river quitte la direction nord-est pour s'orienter sud-est.


Pour moi, c'est le grand tournant. Demain j'attaque le Wild West, l'ouest sauvage, avec le Western Kansas qui était il y a deux siècles "la prairie" où vivaient "les indiens des plaines". Je mets cette dénomination entre guillemets parce que c'est le titre d'une très belle étude ethnographique qui m'a été offerte par mon fils Éric et que j'ai lue et relue plusieurs fois. Elle montre comment, par tous les moyens, les blancs ont décimé la First Nation" (les indigènes).


C'est aussi la région des grands espaces où le vent souffle sans retenue. Rappelez-vous ce que m'a écrit Mark Taylor: "Riding in Kansas taught me that headwind is" (en pédalant dans le Kansas, j'ai vraiment appris ce qu'est un vent de face"). C'est là enfin que les tornades se lèvent en quelques minutes pour balayer l'espace. J'espère y échapper.


So far, so good.

4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Le promeneur est solitaire, ce qui lui permet de rêver....Au fait en scrutant la carte j'ai vu que tu étais à Ness city, dis bonjour à Elliott(elle était facile). J'espére que Reddog tient le coup, ici Broken Knee tente de prendre son mal en patience, je n'en dis pas plus, à+.

11:07 AM  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard
Ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai pris connaissance de ton périple américain. Je viens d'imprimer toutes les pages pour te lire plus facilement. Je ne te connaissais pas ces talents de narrateur et de romancier. Bravo !! Je suis impressionné.
Bravo aussi pour ce challenge vélocipédique.
Dès que possible j'essaie de te recontacter.
Très amicalement.
Daniel

2:37 PM  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard,

Quelques nouvelles de vos anciens compagnons de cargo, Helga (que je viens d'avoir au téléphone) et Bernard-Jean. Ils sont au large de Malte (ce qui autorise une conversation téléphonique sur le mobile d'Helga). Ils n'ont visiblement pas les mêmes conditions de vie à bord que celles que vous avez connues, ce qui semble les empêcher de suivre régulièrement vos aventures et surtout de vous écrire. D'où ce message. J'ai rapidement dit à Helga où vous en êtes : "ce mec est génial !" a-t-elle eu pour commentaire. Moi qui la connais depuis quelque temps, je peux traduire ainsi : "bravo, continuez, on est avec vous, on pense à vous du haut du pont, ici au large de Malte, dans la méditéranée ensoleillée" (je fais l'hypothèse que vous vous vouvoyez, mais peut-être me trompe-je). Permettez-moi, une fois encore, de joindre mes encouragements à ceux d'Helga et de vous souhaitez autant de bonheur à traverser l'ouest sauvage que vous semblez en avoir eu jusque là.
Gilles-Laurent

10:18 PM  
Anonymous Anonyme said...

Bernard, c'est à nouveau moi.
Aujourd'hui, lundi 12-06, en France nous avions la première journée du Bac avec la traditionnelle épreuve de dissertation philosophique. A cette occasion, j'aimerais aussi te faire philosopher (pendant que tu pédales et que la route monte car on a plus de temps !) sur une pensée de Hélène Claudot-Hawad dans son livre « Touareg – Apprivoiser le désert » que j'ai pu sur un temps plus court méditer moi-même : « En accomplissant son parcours quotidien , le nomade ne fait que reproduire l’itinéraire cosmique qui fonde l’ordre du monde. Chaque élément de la nature, chaque être individuel ou collectif est en effet perçu en marche vers des étapes successives à franchir jusqu’à l’harmonie complète avec les flux de l’univers.»
Je te souhaite bonne route et à bientôt de tes nouvelles.
Daniel

10:36 PM  

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