V2V TRIP

Du vignoble du Jurançon aux vignobles de la Californie, traversée d'un océan en cargo et d'un continent en vélo. From Jurançon vineyard to Napa Valley vineyard, through the Atlantic ocean by cargo ship and from New York to San Francisco by bicycle.

From Taylorville (Illinois)

May 27th

4.03pm (23H23 en France)

Une journée très bien commencée m'incite à pousser mon avantage jusqu'à vous envoyer un nouveau message (raisons ci-dessous).

Amil

Je parle d'une bonne journée parce que:
1- réveillé à 5H30, je peux joindre Hélène à 6H, le décalage horaire ne laissant plus beaucoup de possibilités.
2- j'ai pour objectif TAYLORVILLE mais avec une inquiétude: le grand week-end qui se prépare ici ("Memorial day", lundi 29, l'équivalent de notre 11 novembre) a bourré les motels. Pour la première fois, hier soir, j'ai voulu réserver l'étape. Le monsieur qui me répond me dit que c'est complet, je lui explique mon voyage (toujours discuter pour garder prise sur les évènements au lieu de les subir). Finalement, mon interlocuteur m'a demandé de le rappeler demain c'est-à-dire ce matin. Je ne rappelle pas et choisis une autre option: voir sur place. Mais pas question de ne pas avancer, je prends le risque.
3- 90 degrés d'angle ce n'est pas beaucoup, mais quand il s'agit du vent qui est passé dans la nuit de sud-ouest à sud-est c'est énorme: j'ai le vent dans le dos et ça change tout. Hier je roulais à 8 miles/H, aujourd'hui je démarre à 13 ou 14 sans forcer.
4- Je m'arrête dans une station service pour acheter de l'eau en bouteille, l'eau du robinet ayant un goût horrible, j'y trouve une carte du Missouri que je cherche depuis cinq jours pour préparer la suite du voyage.
5- Chaussées excellentes, pas de circulation, route directe, vent dans le dos, j'avale les 61 miles (98km) en... 4H55 à 12,5 de moyenne.
6- Arrivé au motel, je reconnais à la voix le monsieur qui m'a répondu. Je me présente. Lui aussi. C'est un Indien (de l'Inde), il se dit Indien-Américain. Il s'appelle Amil. Vu ma situation, non seulement il m'a réservé une chambre mais comme elle était "fumeur" il y fait fonctionner un purificateur d'air. En plus de ça, au lieu de 80$, prix exceptionnel pour ce week-end (et c'est vrai, j'ai vu un client payer), il me fait la chambre à 50$, m'indique un très bon restaurant des familles où je me refais une santé, me donne un plan de la ville avec l'emplacement de la bibliothèque et appelle celle-ci au téléphone pour savoir l'heure de fermeture. Je le remercie pour son extrême amabilité. Il me répond que Dieu voit tous les gestes que nous faisons. Je suis KO debout...

Merci Didier


Finalement, les questions les plus basiques sont les plus déroutantes. Qu'est-ce qu'on fait sur le vélo? Je me l'étais demandé juste avant de voir ta question, mais n'avais pas apporté de réponse précise. Tu m'as obligé à formuler. Alors c'est vrai qu'il y a trois éléments:
1- Le pilotage. Le vélo est un véhicule inséré dans le trafic, j'en ai déjà dit beaucoup là-dessus.
2- L'observation. Paysage, habitat, êtres humains, animaux, curiosités. Par exemple, quand un petit oiseau vient se positionner au-dessus de toi en sifflant et avance à ton rythme pendant plusieurs centaines de mètres, ça t'occupe un moment.
3- Le cheminement de la pensée. Là, c'est le plus intéressant. Je suis très sensible aux images et aux symboles ( voir "route de l'Ouest" dans la présentation du voyage). Par exemple ce matin, peu occupé par la route, j'ai beaucoup pensé a un film de Clint Eastwood que j'ai évoqué hier: "sur la route de Madison". Pourquoi? L'action de ce film se déroule dans le nord de l'Illinois. Un photographe du "National Geographic" vient y faire un reportage sur les ponts couverts de l'Illinois (ce sont des ponts en bois, fermés sur les côtés avec charpente et toiture). En cherchant sa route, il y rencontre une fermière d'origine italienne, dont mari et enfants se sont absentés trois jours. La femme mène une vie banale avec un homme qui l'aime gentiment. Avec le photographe, elle va rencontrer l'amour, le vrai, le fort. Pourtant, au contraire de ce que lui demande le photographe, partir avec lui avant que la famille revienne, la femme va rester fidèle à son mari. Dans sa vieillesse, elle recevra un jour un colis contenant tout le matériel de photo que son amant lui a légué avant de mourir. On peut donc penser que lui aussi est resté fidèle à celle qu'il n'a connue que trois jours.


Ce film est magnifique, il est fait de dialogues simples mais très forts, par exemple quand le photographe dit à la fermière qui se considère comme peu de chose par rapport à un homme qui court la planète: "Vous n'êtes pas une femme ordinaire, vous êtes tout sauf une femme ordinaire". Il est fait aussi de gestes superbes. A un moment, la femme est au téléphone et l'homme assis près de la table de la cuisine devant elle; tout en parlant, elle pose sa main sur le col de chemise du photographe, premier geste de la liaison amoureuse.

Ce magnifique élan de tendresse qui vaut beaucoup de discours n'est pas sans rappeler un geste quasiment identique dans "smoke", le film qui a pour cadre Brooklyn, le quartier de New York où un vendeur de cigares, photographe amateur celui-là, prend chaque matin à la même heure une photo de son magasin de l'autre côté de la rue, puis fait des albums entiers de toutes ces photos. Un jour qu'il montre les albums à un de ses clients devenu un ami, ce dernier voit sa femme, décédée depuis, qui passe devant l'objectif au moment de la photo et à ce moment s'effondre en larmes. Le vendeur de cigares, joué par Harvey Keitel me semble-t-il, pose alors sa main délicatement sur l'épaule de celui qui pleure, geste de compassion absolu.


Les mots simples font les grandes oeuvres, les gestes simples font les grands films. C'est sans doute pour cette raison (je reviens a la route de Madison) que j'ai un jour entendu quelqu'une de mon entourage dire qu'elle aurait bien aimé vivre une aventure de ce type une fois dans sa vie. Alors c'est vrai qu'il peut y avoir dans le parcours d'un être humain, des évènements très courts dans leur durée mais qui transcendent une vie a jamais, que ce soit pour une poignée d'heures, trois jours ou...un peu plus heureusement pour la plupart d'entre nous.


Un voyage de rêve, c'est beaucoup d'images accumulées, par exemple "Easy Rider" (quand je vois des duos de Harley) et de textes digérés, comme "On the road" de Kerouac. "Sur la route de Madison" fait partie des oeuvres qui, dans ma tête, jalonnent mon itinéraire. Voilà pourquoi, et aussi pour leur aspect singulier et caractéristique de cette région, j'aurais bien aimé voir un pont en bois dans l'Illinois, mais ils sont au nord m'a dit Amil (qui voulait en plus me prêter sa voiture pour aller en voir!).


Et oui, mon cher Didier, tu vois que sur le vélo, on pense aussi à...
l'amour.

So far, so good.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard,

je lis avec toujours autant d'intérêt vos posts. J'y apprends des choses passionnantes. Merci.
Peut-être ai-je raté un épisode, mais cela fait plusieurs fois que vous évoquez de nouvelles photos que je ne trouve pas sur le blogg...
Vous pouvez en envoyer aussi à arnaud@super-hub.com, elles seront bien regardées !
Bon courage
Gille-Laurent

9:46 PM  

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