V2V TRIP

Du vignoble du Jurançon aux vignobles de la Californie, traversée d'un océan en cargo et d'un continent en vélo. From Jurançon vineyard to Napa Valley vineyard, through the Atlantic ocean by cargo ship and from New York to San Francisco by bicycle.

When the going gets tough…
From Coshocton (Ohio) – May 19th

"When the going gets tough, the tough gets going" (difficile à traduire: la volonté augmente proportionnellement à la difficulté)

Quelques petits soucis me donnent l'occasion de revenir vers vous. Je m'explique: Je suis parti ce matin vendredi 19 mai de Uhrichsville avec l'intention d'avaler du bitume. J'avais prévu 76 miles (120km) jusqu'a Mount-Vernon (Ohio). Les évènements en ont décidé autrement. Mon pneu arrière (celui de Red Dog plus exactement) a commencé à se dégonfler. J'ai donné un coup de pompe qui m'a permis de parcourir 3 miles de plus, jusqu'a Coshocton. Là j'ai compris qu'il fallait réparer quand, après avoir retiré de la gomme un minuscule crochet métallique, j'ai vu le pneu s'affaisser dans un soupir désespéré. J'étais en centre-ville, devant la "library" (bibliothèque). En levant la tête, j'ai aperçu à 50 mètres un petit motel désuet alors que je venais d'en dépasser un tout moderne dans la zone commerciale. Mon choix a été vite fait d'autant que j'avais besoin de refaire le plein dans deux domaines: cash (argent liquide: beaucoup de banques me refusent l'échange des travellers chèques d'American Express!), et pain sans gluten (j'arrive au bout de mes provisions françaises). Au prix d'un peu moins de confort, j'ai tout sous la main. J'ai pu me doucher tout de suite car il fait très froid, 47F ce matin soit 8 degrés environ, et il pleuvine. Puis je suis allé à la banque, au magasin de produits de régime et au restaurant. J'ai abandonné Red dog, crevé comme moi. Je m'occuperai de lui après la fermeture de la bibliothèque. Vous l'avez compris, j'étais très tôt ici, à peine 11H passées, avec déjà 34 miles au compteur, et j'aurais atteint l'objectif. Ce n'est pas ma semaine, revenons au début.

Jerrylin et Danielle

Le 14 mai je quitte STATE COLLEGE de bonne heure (7H30). Cette ville est magnifique. Son université accueille 80 000 étudiants, le campus universitaire est doté de nombreux stades. La veille, en arrivant, j'ai regardé depuis la route quelques minutes d'une rencontre de base-ball avant de me rendre au
visitor center où là, une dame et sa fille, étudiante en musique, qui étaient de garde, m'ont carrément prêté l'ordinateur de leur bureau. Danielle, la maman, est allée à Paris en janvier dernier et est revenue enchantée de son voyage. Un peu après, toute la famille est arrivée (papa, fiston et grand-parents) et ça s'est terminé par des photos et un échange de e-mails.

Un vélociste providentiel

Je reviens au 14 mai. Une route assez facile me permet d'arriver a l'entrée d'ALTUNA à 11H50 (45 miles). Je m'arrête dans un
family dinner, un de ces petits restaurants dont je me suis fait une spécialité depuis la ”Luncheonette du deuxième jour. Au moment de repartir, le temps est très gris mais stable. J'ai tracé sur ma carte une route calme, la 236 West. Il y a bien une autre route plus au sud, mais plus fréquentée. Je choisis le calme: mauvais choix. D'abord, la route est peu après coupée par des travaux et ensuite l'itinéraire est beaucoup plus difficile. Dans la déviation, mal indiquée, je me perds. J'essaie de rattraper en suivant la route d'une localité située sur la 236W et me retrouve peu après dans une montée impossible dépassant les ...15%. Moral en berne et muscles en feu, je stoppe un instant pour reprendre mon souffle quand survient un fourgon qui veut pénétrer sur la propriété devant laquelle je suis arrêté. C'est un marchand de vélos d'ALTUNA qui est au volant! Je lui explique mon problème, il m'embarque avec Red Dog dans le camion et m'amène au sommet, 3 miles plus loin. Puis viennent les explications et suggestions: rattraper la route du sud, beaucoup plus facile. ”Make a left, make a right…” (allez a gauche, allez a droite, etc.), ça a l'air tout de suite fait.

Miles pour rien

Grosse erreur; l'itinéraire est extrêmement difficile, toutes les remontées sont à plus de 12%, je me perds dans un village et me retrouve a l'entrée d'une autoroute. Demi-tour obligatoire avec des côtes très dures à remonter. Bref, je m'épuise tout l'après-midi, avant de retomber sur cette fameuse route sud, beaucoup plus facile, mais quand les muscles sont tétanisés tout paraît dur. Finalement, j'arrive à EBENSBURG à 16H30, après quatre heures de souffrances inutiles. On m'indique un "B&B" qui a l'air très sympa, mais il est fermé jusqu'à 20H. Le vent a fraîchi.
J'ai froid. Je sais qu'il y a un motel, mais je comprends mal les explications des uns et des autres, policier inclus. Je n'arrive à le trouver qu'à 18H grâce à un monsieur âgé que je comprends très bien. Il était temps. J'ai parcouru 86 miles (138km) dont 10 a 15 inutiles et très durs.

The rain (la pluie)

Le lendemain 15 mai, la pluie est au programme pour la première fois
. Après avoir déjeuné au motel, je suis sur la route à 8H30. Le temps est très frais, 59F soit environ 15°. D'entrée, j'attaque la 422 West par une cinq voies avec une shoulder (je rappelle = surlargeur) très étroite. Je suis sous le poncho, je ne vois donc pas dans le rétroviseur, le trafic des trucks (camions) est intense. ils se suivent parfois à quatre ou cinq et montent les côtes à une vitesse incroyable en faisant rugir les moteurs à donf. Leurs énormes roues m'aspergent d'eau mêlée de boue. Je manque plusieurs fois d'y passer dessous à cause de l'effet de souffle, qui par ailleurs rabat immanquablement le poncho et m'oblige à des exercices d'équilibriste pour remettre la protection en place. Sur la shoulder, à 3 ou 4 miles à l'heure dans de longues et difficiles côtes, je dois éviter pierres, verres, clous, branchages, animaux crevés, ruisseaux d'eau. je subis cet enfer pendant deux longues heures et je vous prie de me croire, s'il y a dans la vie des heures qui passent trop vite, il y en a aussi de très longues. A 10H30, après un arrêt restauration qui me requinque, je change de route, comme prévu.

Pied à terre

Celle-ci est plus petite, déserte. Il pleut toujours à torrents, les côtes s'enchaînent comme des perles, je passe du 3 miles à l'heure au 25 miles sans transition pour revenir au 3 et ainsi de suite. C'est la YELLOW CREEK VALLEY. Attention aux creeks, ça veut toujours dire mal aux jambes. A HOMER CITY, je crois trouver à manger. Il n'y a qu'une pizzeria et seule me convient une salade légère. Je reprends ma route vers EDGEWOOD et WEST LEBANON. Alors, je peux vous dire que de celle là je vais me souvenir. Pluie torrentielle et continue pour escalader côte sur côte, chaque fois à plus de 10%, et route mal signalée: je suis obligé d'attendre à plusieurs carrefours qu'une voiture arrive pour demander mon chemin. Certains conducteurs se méfient de ce diable rouge et refusent d'ouvrir la vitre. La moyenne et le moral s'effondrent au fil des quarts de miles, tellement 1 mile entier est long à couvrir. A l'approche de WEST LEBANON, la dernière côte est très dure; je suis à la limite de mes possibilités physiques, lorsque la route se cabre encore un peu plus après un virage: je manque de tomber et suis contrains de mettre pied à terre. Jambes écartées, genoux en appui sur les sacoches pour bloquer le vélo dans la pente, je rentre la tête dans les épaules pour reprendre mes esprits. Il pleut à torrents, je n'ai plus de forces, je ne me vois plus à ce moment là aller au bout du continent. Mais même si je prends la décision d'abandonner, il me faut d'abord sortir d'ici. Après trois minutes de pose physique et mentale, je me remets en mouvement. Moi qui ai horreur de la marche à pied, je suis obligé de faire 300m en poussant la machine pour atteindre à la fois le sommet de la route et le village. Je me rends compte, alors, que j'ai les chaussures pleines d'eau.

Derniers errements

Il n'y a rien à WEST LEBANON. Il faut aller voir plus loin. Je finis par arriver a SHADY PLAIN. Je m'arrête dans un dinner pour boire un café et demander s'il y a un motel dans le coin. Plusieurs personnes mangent. J'ai très faim mais ne peux pas m'attabler car l'heure tourne et je dois trouver un hébergement à tout prix. Un consommateur m'indique quelque chose à LEECHBURG, à plus de 10 miles. Il pleut toujours, je remets le poncho et repars. SHADY PLAIN: qui dit "plain" dit trou. Pour en sortir, j'affronte une succession de murs avant que la route, enfin, s'adoucisse. La localité de LEECHBURG est située sur les deux rives de l'ALLEGHENY RIVER. Laquelle choisir? Je me renseigne plusieurs fois sans vraiment bien comprendre. Un marchand de pneus, qui parle très mal, me demande combien j'ai prévu de pneus pour aller au bout, je lui réponds: deux, un pour l'avant et un pour l'arrière. Il rit, mais je ne sais toujours pas où je vais coucher.

Un motel privé

En fin de compte, après ne pas avoir écouté une commerçante qui m'envoyait sur l'autoroute au sommet d'une colline, je me fie à mon intuition et trouve l'établissement. Je comprends tout de suite que ce n'est pas le luxe! L'office est délabré, une fille sale sort du restau d'à côté et me dit de patienter. Un homme arrive en tenue de chantier. Il me dit que c'est fermé le lundi. Il y a pourtant beaucoup de voitures en stationnement, mais je comprendrai vite que c'est pour une réunion privée de ladies du coin. Quand on est dans la panade, il faut imposer sa volonté. Pour moi, ce soir là, pour dormir mais aussi manger, c'est ça ou rien. Sous la pluie qui ne faiblit pas, j'insiste, je décris mon périple, je dis que non seulement il me faut la chambre mais aussi le repas. Et j'obtiens gain de cause. A 68$ le tout (vivre et couvert) on ne peut pas demander le Hilton. Je mange sur un coin de bar en assistant à la party de ces dames, le lit sera très mauvais, une voie ferrée passe derrière le mur de la chambre et à chaque train (trains de marchandises, interminables aux USA) j'ai l'impression que tout va s'effondrer. Auparavant, le lavabo n'a pas tenu le temps de ma lessive et une fuite d'eau a noyé la salle de bains. Mais j'ai mangé, je suis propre, le linge est lavé, les sacoches nettoyées et ...Red Dog aussi. Je suis comme Alain Prost: je ne supporte pas de monter sur une "pourriture" (pardonnez-moi l'expression mais je l'aime!) le lendemain matin. Et puis, résister est le seul moyen que j'ai trouvé pour garder le moral!

Remettez- moi ça

Vous ne serez pas surpris que les premiers coups de pédales soient donnés le lendemain à 7H15, ventre creux et tête lourde, la cinquantaine de côtes de la veille toujours dans les chaussettes. Je ne le sais pas encore mais je vais subir une nouvelle journée de terreur sur des routes, pourtant secondaires sur les cartes routières, mais infernales de circulation sur le terrain, dans des conditions atmosphériques déplorables. C'est le remake du musée des horreurs. Quand je m'arrête pour manger à midi, je n'ai couvert en 5H15 que 32 miles mais escaladé... vingt-six côtes. Je demande à la serveuse du dinner pour quelle raison il y a tant de camions sur une si petite route: c'est un raccourci entre deux interstates pour éviter PITTSBURGH! Je finis quand même par trouver une route calme pour arriver à ROCHESTER mais par manque de panneaux routiers, je fais 7 ou 8 miles en trop et je ne sais combien de côtes en plus. Petit coin de ciel bleu moral, le gérant de la station service à l'entrée de ROCHESTER, un Pakistanais je précise, m'offre le café et m'indique des motels sur l'autre rive. Mais il y a trois ponts pour aller de l'autre côté. Je me retrouve à BEAVER où on me conseille un B&B. Mais je suis très sale et prévois beaucoup de nettoyage. Aussi ai-je besoin d'indépendance. En plus, je ne comprends pas les indications des personnes que je questionne sur la localisation de la maison. Je ne suis donc pas le conseil que l'on me donne. C'est encore une mauvaise décision. Je dois repasser le pont, franchir à nouveau l'OHIO RIVER, escalader une côte de 3 miles (!) de longueur, pour finir dans une suite luxueuse d'un "Holliday Inn". Tout ça parce tout est complet ailleurs et parce qu'à 19H, sous la pluie, dans le soir qui tombe, quand on est trempé et qu'on frissonne, un lit ne se refuse pas, quel qu'en soit le prix (168$). Dans notre chambre (Red Dog et moi), il y a salle d'eau, salle de bains, jacuzzi et tout et tout. Mais il y a surtout un sèche cheveux et celui-là va beaucoup servir toute la soirée. Tout y passe, linge, protections pluie, sacoches, chaussures. Comme il n'y a pas de repas possible (il pleut averse et je suis dans une zone commerciale, loin de tout restaurant), je vais me chercher une corbeille de fruits dans la salle du breakfast. J'y rencontre un américain très sympa, en hébergement d'affaire, avec qui je parle pendant une demi-heure.

Sur mon carnet de route j'ai inscrit ce jour là: "journée horrible. Les calèches et joggers de Central Park, les néons de Broadway, les boutiques de Fith Avenue, les écureuils de Battery Park et le Café de la 28eme rue me semblent irréels". Je reproduis.

INDUSTRY


Ce n'est pas parce que je quitte la "suite" à 9H15 que j'ai fait la grasse matinée, quoique... le lit en 160 était bien bon. J'ai surtout profité du breakfast copieux compris dans la prestation. Normalement, aujourd'hui, ça devrait aller mieux. Sur la carte la route est un trait très fin. Mais il sera dit que... D'abord la pluie remet le couvert, et allez le poncho. Ensuite, dans la traversée de BEAVER une cérémonie militaire me coupe la route; je veux prendre du cash en banque: deux refus. Dès la sortie de la localité des travaux sont en cours. Pendant 6 miles (10km!), je roule sur un revêtement gratté, qui transforme la chaussée en mini-pavés, avec des trous planqués sous la boue. La shoulder est inutilisable, les camions se suivent à la queue leu leu. Je suis dans la vallée de l'OHIO RIVER, une vallée complètement industrialisée et depuis longtemps. A l'entrée de INDUSTRY, la bien nommée on peut lire "named for early coal industry" (appelée ainsi en raison d'une des premières exploitation du charbon). Je vous cite donc les paysages sans les décrire (tout est noir): centrale atomique, centrale thermique, hauts-fourneaux, aluminium, etc, sur des miles et des miles. Pas étonnant qu'il y ait des camions!

Crystal

Je finis de manger le pain "noir" à midi, encore dans un family dinner, où je suis bichonné par une jolie et souriante blonde, Crystal. Non seulement je mange bien, mais en plus la décoration est composée de photos anciennes, toutes relatives au début de l'industrie. Crystal vient me parler de quelques-unes, à l'heure du café, voyant que je les détaille une à une avec beaucoup d'intérêt et d'attention. Au dos de l'addition, Crystal à écrit son prénom et dessiné… un cœur. C'est le premier rayon de soleil depuis plusieurs jours. Malgré un départ sous des nuages si noirs qu'ils ne laissent que peu d'espoir d'éviter une nouvelle saucée, le second viendra pourtant du ciel, l'après-midi, dans l'État de WEST VIRGINIA où je roule sur une quarantaine de miles avant d'arriver dans l'OHIO.

C'en est fini de la PENNSYLVANIA, de sa pluie et de ses côtes. Ouf!


4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard,
Vous ne me connaissez pas. Je suis un ami d'Helga dont j'ai reçu une carte postale aujourd'hui dans laquelle elle m'a donné l'adresse de votre blogg. Cela m'a permis d'avoir de plus amples nouvelles de son périple océanique et de découvrir votre aventure.
Je viens de lire vos posts et suis à la fois ému et impressionné. Je continuerai de vous suivre jusqu'à votre arrivée à San Francisco.
Je vous souhaite bon de courage pour la suite.
Gilles-Laurent
PS : il y a une dame chez qui vous vous êtes arrêté récemment (quand vous avez crevé) qui parle de vous dans son blog ; voici son adresse :
http://rhonnold.blogspot.com/

9:58 AM  
Anonymous Anonyme said...

Salut Bernard
COURAGE, nous ne pouvons pas faire grand chose mais nous te soutenons moralement. Même s'il y a des cotes elles sont plus faciles à monter sous le soleil que sous la pluie ... Espérons qu'il va briller dans le nouvel état que tu abordes.
Jean Louis et Jackie

6:11 PM  
Anonymous Anonyme said...

Courage old boy, après la pluie vient le beau temps....enfin normalement! tu vas vers le soleil, penses-y!

6:34 PM  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard !
Nous te suivons régulièrement, et "souffrons" avec toi !
Vivement le soleil, pour que cette randonnée se transforme en promenade d'agrément. Bonne route et bravo !
Marguerite et Alain

11:27 PM  

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