V2V TRIP

Du vignoble du Jurançon aux vignobles de la Californie, traversée d'un océan en cargo et d'un continent en vélo. From Jurançon vineyard to Napa Valley vineyard, through the Atlantic ocean by cargo ship and from New York to San Francisco by bicycle.

On the road
From Lewisburg (Pennsylvania)-May 12th

Avec Gerry

La plupart des récits de Transamerica commencent a l'extérieur de New York puisque les ponts sont interdits aux vélos. Tous les ponts sauf… un. Gerry m'a suggéré de partir vers le nord, le long de la Hudson River qu'il est possible de franchir sur le Georges-Washington Bridge. OK, Gerry.

6 mai,
11H du matin, temps parfait, température douce. Il y a des jours où on sent que ça va baigner. Dans les rues de West Side, Gerry est un guide remarquable. N'oublions pas qu'il a été organisateur de voyages en vélo. Pour signaler les arrêts, les accidents de chaussée, ses gestes sont précis; pour donner le rythme, il s'impose. Je le suis sans effort alors que mon vélo est quatre fois plus lourd que le sien.

Nous voici sur le pont, où les vélos évoluent à l'écart des voitures. Cent cinquante à deux cents Harley Davidson déboulent. Un cycliste qui admire mon vélo nous apprend qu'elles se rendent à Ground zero. De l'autre côté, la vue sur Manhattan est immense. Le pont passé, nous entrons dans le New Jersey, seulement pour quelques miles. Mais tout de suite l'environnement se transforme. Le paysage urbain fait place aux petites maisons en bois avec leur pelouse proprette et sans clôture. C'est l'Amérique telle qu'on l'a toujours imaginée.

Le paysage est très vert, la route agréablement vallonnée. Des dizaines et des dizaines de cyclistes nous croisent ou nous dépassent (nous sommes samedi). La plupart du temps, j'ai droit à un commentaire sympa puisque, évidemment, je suis le seul chargé. Je ne comprends rien, Gerry répète de façon intelligible.

En deux heures, nous parcourons environ 23 miles (1 mile = 1609m). Nous revenons à nouveau dans l'État de New York. Peu avant NYACK, nous nous arrêtons pour voir un monument dédié aux soldats américains partis combattre en Europe. C'est ici que, venant de tout le pays, ils étaient rassemblés. Peu après, Arlene nous rejoint en voiture au centre du bourg. Mes amis m'offrent le repas à la terrasse d'un café, dans ce lieu dépaysant au possible pour l'Européen que je suis. Les maisons en bois colorées alignent leurs façades avec balcon et drapeau étoilé. L'ambiance est paisible (peaceful dit Gerry). Beaucoup de cyclistes occupent les tables voisinent.

Après le café, je fais mes adieux à Arlene qui va attendre le retour de Gerry pour le ramener en voiture. Pour l'heure, l'homme m'accompagne encore quelques miles. Les propriétés qui bordent la route sont de plus en plus belles et l'air est incroyablement parfumé. Quand vient l'heure de se séparer, Gerry me souhaite un "greeeeat trip" (great c'est "super"), avant d'ajouter un sérieux "go safe" (soyez prudent). Ainsi s'achève cette trop brève rencontre avec ce couple simple, sportif et chaleureux.

Me voici donc seul sur la 9W en direction du nord. Je suis décidé à m'arrêter assez tôt pour prendre mes marques en matière d'hébergement, d'autant plus que nous sommes samedi. Pourtant, je laisse passer un premier motel (en ruine), puis un second soi-disant complet. Le troisième est le bon. C'est un établissement modeste mais convenable, mon premier contact avec l'hôtellerie de la route. Par contre, il n'y a rien autour pour manger. Je me contenterai pour ce soir d'une banane et de quelques biscuits. J'ai un lit, c'est déjà bien: qui dort, dîne.

Lonely (seul)-May 7th

" As the daylight rises the thought suddenly occurs to me - there's no going back. The effect it has on me is unexpected: I sense enormous relief because there's no need to be brave any more. It's like parachuting: you need courage before, and only before the jump, while there's the freedom not to jump, the opportunity to be a coward. There are no such choices now, thanks heavens! There is only this seemingly infinite expanse: 4,000 miles of continent to pedal across at walking speed" (comme monte la clarté du jour, la pensée me vient soudain qu'il n'est plus possible de revenir en arrière. L'effet en est inattendu: Je ressens un grand soulagement parce qu'il n'y a plus besoin d'être courageux. C'est comme le parachutisme: il faut du courage avant, et seulement avant le saut, quand on a la liberté de ne pas sauter, la possibilité d'être lâche. Il n'y a plus de telles interrogations maintenant, Dieu merci! Il n'y a que cette étendue qui parait infinie: 6500km de continent à traverser en pédalant à la vitesse d'un marcheur) ( Stevie SMITH-"around the world by human power")

Et bien oui, dès qu'on a franchi le pas, la sérénité s'impose d'elle-même. Cette fois, plus de parachute. Première urgence: manger. A HAVERSTRAW (3 miles), je rentre en ville, y tournicote un moment, mais ne trouve rien d'engageant en ce dimanche matin. Je reviens sur la route, j'ai faim. J'aperçois un petit établissement à l'enseigne attirante à souhaits: "LUNCHEONETTE". Il y a du monde, c'est bon signe. Je rentre. L'intérieur est une simple salle, bar d'un côté, tables en râteau de l'autre. Je m'assieds à côté d'une famille... imposante, mais c'est la dominante. Pour la première fois, je prends contact avec cette réalité de l'Amérique actuelle: l'obésité. J'y reviendrai. En attendant, je fais comme tout le monde et commande un repas complet: bacon, oeufs, frites, jus d'orange, toast, café. La serveuse, très compréhensive, fait beaucoup d'efforts pour me comprendre. J'explique mon régime, elle grille mon pain spécial. Pour 6$ (4,8€) je mange pendant une heure.

La suite me révèlera que l'arrêt était impératif: je n'ai ensuite rien vu de semblable sur des miles. Je viens d'apprendre trois choses d'un coup:
1) Pour manger ou dormir, c'est sur la route que ça se passe. Les Américains vivent avec la voiture.
2) Pour manger ou dormir, il faut s'arrêter quand on trouve, pas quand on veut.
3) Il faut oublier l'Anglais. Hot se dit hat, ham (jambon) se dit Hem, twenty (vingt) se dit toueni, water (eau) se dit wouadeu, and so on (ainsi de suite). Excusez-moi, Sarah!

Un quart d'heure après cette leçon de choses, je suis a STONY POINT où je quitte la 9W suivie depuis hier pour la 106W. Cette fois, "go west" toutes. Je m'engage alors dans une magnifique route de montagne, boisée, calme. Par contre, l'ascension est tout de suite extrêmement difficile. Sur mon compteur/altimètre les pourcentages oscillent entre 10 et 12% avec des pointes à 15. C'est de la folie. Quel début! Je m'arrête fréquemment pour récupérer souffle et forces. J'essaie mentalement de retrouver le style très efficace de mon ami Jean-Pierre Bergeyre qui m'impressionne toujours quand il amène dans une côte un peloton de vélos chargés: mains aux cocottes (le haut des freins), buste en avant bien raide, tête au-dessus du guidon, souplesse de la cheville. Bon, ça marche jusqu'a 8%. Au-dessus, le vélo louvoie sous le poids et à cause de la trop faible vitesse (3miles). Le sommet ne paraît jamais bien loin, mais il y a toujours une pente qui suit. C'est traître.

Côté paysages, je suis gâté. J'atteins une série de lacs où, dans le silence, les barques de pêcheurs font des ronds dans l'eau. Enfin, le silence en prend un coup de temps en temps, surtout quand survient un groupe de HARLEY. Hier c'était les vélos, aujourd'hui c'est les motos. Je les croyais démodées, rangeons les idées reçues.

Le temps passe et, malgré quelques descentes (enfin), la route reste assez dure. A 13H30, j'arrive dans un endroit bucolique, GREENWOOD LAKE. J'avise un établissement style ranch devant lequel stationnent des HARLEY. Manger quand on trouve: pour moins de 5$, j'y fais un repas complet à base de salade et de fruits. En 5H, je n'ai parcouru que 28 miles (45km).

Je repars gaillard mais... une nouvelle montée de 2 miles à 7% a raison de mon courage. J'arrive dans une très jolie petite ville, WARWICK, bien décidé à ne pas aller plus loin. Un pépé m'indique le motel avant de me lancer un définitif poor boy (pauvre gars) quand je lui annonce ma destination finale. Au motel, je suis reçu avec beaucoup de sympathie et je plaisante avec la patronne qui m'autorise à rentrer le vélo dans la chambre et m'indique un bon resto. A 15H20, je m'affale sur le lit, cuit. Plus tard, douche et lessive réglées, le tuyau de la dame se révèlera excellent et j'ingurgiterai mon troisième repas du jour avec grand plaisir.

Premières impressions

J'ai tenu à vous raconter ces deux premières journées pour vous mettre dans l'ambiance. Sauf cas rare, je vais maintenant m'en tenir aux évènements marquants pour ne pas vous lasser et me garder du temps pour pédaler.

En six jours, j'ai parcouru 280 miles, ce qui est bien pour un début aussi difficile. Je me suis arrêté hier a LEWISBURG en PENNSYLVANIA où je suis toujours, pour trois raisons:
1) Je devais vous donner des nouvelles et envoyer les photos.
2) J'avais prévu de me reposer un jour. Ca fera un jour et demi. On n'en mourra pas.
3) Il a fait très mauvais temps hier, pour la première fois depuis... Jurançon. Aujourd'hui, le soleil brille.

Le pays me plaît beaucoup. Sur le plan des paysages j'ai été très gâté au début, puis j'ai traversé une région minière plus grise. L'architecture de l'habitat est très dépaysante. Les maisons sont généralement en bois, parfois en briques. La plupart ont une terrasse couverte à balustrade toujours tournée vers la rue. De très nombreuses habitations (c'est très surprenant) arborent des drapeaux, généralement la bannière étoilée.

Les conditions de route alternent. Souvent, les chaussées sont équipées d'accotements, les shoulders (littéralement épaules), de temps en temps aussi larges que les voies de circulation. Parfois la shoulder devient inexistante, d'autres fois elle est grossièrement gravillonnée. Il vaut mieux garder sa place. Les gros camions au long nez (trucks) vont très vite. Côté voitures, les grosses berlines dominent. Il y a aussi beaucoup de 4X4. Mais le pick up, ce petit camion à tout faire, est encore le roi.

Je rencontre partout un accueil excellent. Je commence par deux mots pour dire que je suis Français. Généralement, l'effet est positif. Il peut même être enthousiaste: oh! French! signifie: "ah! mais ça existe donc, on m'en avait parlé, mais c'est tout mignon, quoique maigrelet!" Pour l'instant j'ai eu peu de contacts en dehors des motels et des restos. Quelques uns toutefois: un policier fédéral, fanatique de vélo, une dame dont je photographiais la boite aux lettres et qui m'a offert de l'eau, un cycliste qui m'a accompagné, un vendeur de vélos qui s'est arrêté spontanément voyant que je consultais la carte, un monsieur Amish, cette secte religieuse dont les membres s'habillent comme au 18eme siècle, très fier de me dire ses origines hollandaises.

Pour la langue, pas de problèmes pour me faire comprendre, mais je ne comprends, moi, que très peu. Il me semble que c'est plus facile avec les personnes d'un certain âge, et celles des classes plutôt aisées, dont le langage est plus formel.

Pour l'hébergement, il y a beaucoup de motels. Avantage, je dors avec Red Dog dans la chambre, je n'ai pas à tout décharger. Pour l'instant, les prix sont allés de 49 a 80$, parfois petit déjeuner inclus (free continental breakfast). Le confort est partout excellent et c'est très propre.

Pour manger, c'est facile: les Américains mangent tout le temps. Par conséquent, quelle que soit l'heure, on est servi. Ce n'est pas cher. Hier midi, par exemple, en arrivant ici, j'ai lunché dans un all you can eat (tout ce que vous pouvez manger): salades, plats chauds, salades de fruits, eau pour... 6$! Et on se ressert autant qu'on veut et... qu'on peut!

L'obésité est un phénomène que je n'imaginais pas. Un matin, dans un bar, je n'ai pas pu m'asseoir au comptoir sur le tabouret fixe entre deux chauffeurs routiers, ils prenaient la place de trois. On voit des familles entières qui s'extraient péniblement des voitures pour aller siroter leur soda. Sur ces personnes de forts gabarits, la taille des vêtements m'impressionne.

Je suis en bonne forme, les fesses en bon état. J'ai eu mal au genou après l'étape de montagne, mais je ne me suis pas inquiété. Comme je le supputais, c'était de la simple fatigue. Je pense que ça va aller de mieux en mieux. Avant-hier, j'ai fait 120km sans problèmes. Red Dog tourne bien. J'ai cassé le rétro il y a deux jours; le guidon a tourné sous le poids des sacoches pendant que je prenais une photo et le miroir est venu heurter ma cuisse. Je me suis donné comme objectif de le remplacer aussitôt, passé le moment de la déception. A 17H, après quatre tentatives infructueuses et beaucoup de temps perdu en recherche de magasins de cycles (tous définitivement fermés), l'affaire était réglée. Le cinquième vendeur de cycles survivait, j'y ai trouvé mon assurance: le rétro, c'est mon oeil derrière la tête, c'est ma vie.

Je me félicite d'être parti seul. Il y a trop de décisions à prendre très vite pour passer du temps à négocier et à tergiverser. De plus je prends plaisir à l'indépendance.

Ceci dit: ça va être très dur.

So far, so good (jusque là, tout va bien).

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bonjour Bernard

Lors du trajet vers Vichy en Décembre 2005, tu nous avais présenté ton voyage.Moi qui voyage beaucoup par les docus à la télé, mais aussi parfois en réel (mais pas en vélo pour le moment), j'avais écouté pieusement tous tes préparatifs.
Maintenant, je lis ton blog. Je dirai même que je t'entends narrer ton aventure, et j'ai l'impression de rouler derrière toi.
L'aventure c'est l'Aventure, mais qu'elle soit et reste belle !!

12:05 AM  

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