V2V TRIP

Du vignoble du Jurançon aux vignobles de la Californie, traversée d'un océan en cargo et d'un continent en vélo. From Jurançon vineyard to Napa Valley vineyard, through the Atlantic ocean by cargo ship and from New York to San Francisco by bicycle.

Semi-Conducteur
(20 avril 2006)

Debout à 3H30, devant l’écran à 4H pour regarder les photos prises la veille par Michel et envoyées par e-mail, chez FOURNIER à 5H : cette fois c’est la bonne !
Éric charge le dernier sac à côté du vélo et s’installe au volant. Je grimpe à son côté. Moteur. Le camion se glisse dans la nuit.

Éric

Tandis que je vis les premières sensations de la route à 2 mètres du sol, Éric et moi faisons connaissance. Il veut me faire parler du voyage aux USA ; j’aimerais qu’il me raconte son métier. Nous imbriquons les questions et les réponses dans la quiétude de la cabine insonorisée. Le courant passe tout de suite. Gestes précis, élocution posée et réfléchie, Éric est un professionnel responsable, représentant d’une PME du transport routier elle-même sérieuse et bien gérée.

Bien au-delà, nous nous découvrons de nombreux points communs. Et je ne veux pas ici évoquer notre physique respectif dont le cumul de poids ne devrait pas augmenter considérablement la consommation de gas-oil ! Éric fait la route par passion. Mais il conduirait avec encore plus de plaisir un « long nose » (littéralement ‘long nez’, camion américain au capot allongé), regrette la moto malgré le grave accident dont il a été victime et la Matra de sa jeunesse dont il aimerait bien retrouver un exemplaire.

Le Midi

La conduite de mon chauffeur est souple et malgré la vitesse modérée, les kilomètres s’égrènent sans que je m’en rende compte. Nous abordons lentement la « Ville Rose » grâce à un petit ralentissement (coucou Isabelle et Éric !), survolons la cité de CARCASSONNE, côtoyons le canal du Midi. Même un petit déjeuner/pause professionnelle obligatoire sur l’aire de NARBONNE-VINASSAN ne peut retenir le temps ni déformer l’espace. Le miroir de la Méditerranée scintille déjà sous le soleil. Suivent très vite les chevaux de la CAMARGUE, les cailloux de la CRAU et FOS-SUR-MER.

Éric me débarque à 13H30 sur un parking de la nationale. Je le retarde un peu et pourtant il ne manifeste aucune impatience, allant jusqu’à tenir le vélo pendant que j’arrime les sacoches. Une vigoureuse poignée de main nous sépare.

Embarquement immédiat

J’ai réservé la veille une chambre d’hôtes à Saint-Chamas sur la rive nord de l’étang de Berre, à une cinquantaine de km de FOS. Je troque donc ma tenue civile contre la défroque cycliste. Avant de prendre la route, je profite de la présence d’une cabine pour appeler « Mer et Voyages » (l’agence de location de la traversée) qui doit pouvoir à cette heure me fournir de nouveaux renseignements sur l’heure d’arrivée du HUDSON le lendemain.

Ce n’est pas une information, c’est une surprenante nouvelle : le porte-conteneurs sera à quai ce soir vers 20H et j’ai la possibilité d’embarquer immédiatement. What!
-C’est sûr ?
-C’est sûr !

Que faire ? Avertir la chambre d’hôtes ou m’assurer d’abord de la véracité de l’info (on n’est jamais assez prudent !). J’opte pour une troisième voie : manger.

Cléopâtre

Entre la recherche du centre-ville (ne suivez surtout pas « Hôtel de Ville » si vous ne voulez pas vous retrouver dans une zone), et un établissement qui vous serve à manger passé 14H, il me faut de longues minutes de divagations et demandes de renseignements pour stopper devant le snack « Cléopâtre ».

Si le nez de Cléopâtre avait été moins long, la face du monde eût été changée et ma journée aurait pris un cours différent. Très bien accueilli par son jovial patron, je confie le sort de mon appétit sans gluten aux bons soins de Christine, la collaboratrice. Je suis à cette heure le seul client de l’estaminet. C’est donc une énorme salade sur mesure que confectionne à mon intention la gracieuse et jolie blonde. Méfiez-vous des blondes mais régalez-vous sans réserve de leur savoir-faire. Au moment du café, j’apprends que le petit noir est offert. Décidément, c’est mon jour.

Les portiqueurs

35 km plus loin, je me présente au contrôle du terminal conteneurs. 18H approchent. J’erre un long moment dans le labyrinthe de gros cubes sans trouver âme qui vive. Je finis par me rapprocher des quais. Le vent fraîchit. Je cherche un abri.

J’aperçois un petit bâtiment. Au-dessus de la porte entr’ouverte, trois grosses lettres : PAM. Je pose délicatement le vélo avant d’oser une intrusion. Une clameur terrible retentit, me clouant sur place : l’OM vient de marquer le troisième but en ½ finale de coupe de France.

Peu après, je suis attablé devant un « Ricard » pour fêter la victoire. Les « portiqueurs » du Port Autonome de Marseille (PAM), m’ont accepté d’emblée et invité illico à leur table. Quand ils ne sirotent pas le pastis, ces hommes évoluent à 25 mètres du sol, dans la cabine accrochée au sommet des grues (portiques). De là, ils commandent un énorme palan suspendu à un fouillis de câbles. L’engin attrape les conteneurs sur les bateaux puis les dépose délicatement sur le quai, et vice-versa. La suite, transporter les cubes et les ranger dans le parc, est l’affaire des dockers dont les engins géants tout droit sortis de la « guerre de mondes » ne sont pas moins impressionnants.

Portiques et engins mobiles exécutent un ballet bien réglé. Qui en est le compositeur ? Où se trouve le chef d’orchestre ? Qui décide du rangement sur les quais comme sur les bateaux ? Difficile en tous cas d’échapper à son destin : les portiqueurs ne disent pas «conteneurs » mais parlent uniquement en termes de… boites. Voilà qui me ramène au rangement dans l’arrière-boutique !

Tapenade et poivrons

Il n’y a pas d’apéritif sans suite. Après le double Ricard, la table se couvre de tartes aux olives, purée de pois chiches, assiettes de tapenade, poivrons à l’ail et à l’huile d’olive, rosé de Provence…

-Vous mangez avec nous (ce n’est pas un ordre, c’est une évidence).
- je ne veux pas vous priver du repas, c’est vous qui travaillez.
- Mais non, on arrose ma nouvelle voiture et la sienne. Venez vous servir, Madame.

Une dame d’une soixantaine d’années vient d’arriver en taxi avec de lourds bagages, pour embarquer elle aussi sur le HUDSON. Comme moi, elle s’est mise à l’abri du vent froid dans le réfectoire du PAM. Elle décline l’invitation, je l’accepte. Ce qui montre encore une fois qu’il n’y a entre automobilistes et cyclistes aucun antagonisme fondamental !

Bienvenue à bord

Le HUDSON entre dans la darse 2 guidé par le remorqueur « Abeille Provence ». Il s’amarre au quai après de longues minutes de manœuvre. Le jour décline. De puissants projecteurs assurent le relais de lumière.

Le chef d’équipe du PAM, un de ses hommes et moi-même aidons Helga (c’est le prénom de la voyageuse) à charger son lourd paquetage dans un fourgon qui va l’emmener au pied de la passerelle. Je fais 300m à vélo.


Sur place nous rejoignons un troisième passager, un autre Bernard, qu’un taxi vient de déposer. Le Stewart nous accueille, des marins empoignent les bagages. Il faut escalader les 48 étroites marches qui mènent à bord. Je confie ma précieuse sacoche de guidon à Helga et me charge de Red Dog. A peine ai-je posé un pied à bord qu’un marin me fait signe de le suivre. Quelques mètres plus loin le vélo est remisé dans sa cabine : la lingerie.

Après vérifications des papiers, nous sommes conduits dans une coursive du 6ème niveau où nous faisons connaissance de Christine & Wallace, un couple d’américains déjà à bord. Je prends possession des lieux avant la douche et l’extinction des feux. Dehors, quelques mètres plus haut, l’un des hommes avec qui j’ai partagé le repas glisse à l’horizontale le long du portique. Le traitement de la cargaison a déjà commencé. Pour un armateur, chaque minute de quai coûte très cher.