V2V TRIP

Du vignoble du Jurançon aux vignobles de la Californie, traversée d'un océan en cargo et d'un continent en vélo. From Jurançon vineyard to Napa Valley vineyard, through the Atlantic ocean by cargo ship and from New York to San Francisco by bicycle.

From San Francisco (California)
July 25th

"The past is never dead. It's not even past". William Faulkner in "Requiem for a nun" (1951)
(Le passé ne meurt jamais. Ce n'est même pas le passé)

Skyline drive

Le 23 juillet à 12H51 (Pacific time), j'entre dans SAN FRANCISCO. Je ne roule pas vers l'arrivée. Je vais vers l'accomplissement.

Après tant de routes sillonnées, tant de plaines traversées, tant de collines affrontées, tant de montagnes escaladées, après le crépitement de la pluie, la morsure du soleil, la pesanteur de la chaleur, la puissance du vent contraire ou favorable, après les villes, les champs, les prairies, les forêts, les déserts, après toutes ces femmes et tous ces hommes rencontrés, ces visages entrevus, ces relations ébauchées, ces amitiés nouées, après la souffrance et la douleur, le plaisir et l'émerveillement, après le banal et le grandiose, l'heure est venue de l'achèvement.

Sunset boulevard

Ce voyage aurait pu être différent. J'aurais pu prendre l'avion au lieu du bateau, j'aurais pu appareiller du Havre au lieu de Fos-sur-Mer. J'aurais pu suivre le premier itinéraire (imaginé) par DENVER, MOAB, Grand Canyon et LAS VEGAS, ou le second (conseillé) par Escalante National Park, Great Basin et SACRAMENTO. Mes limites physiques m'ont obligé à en improviser un troisième. Dans quelques minutes, le dernier segment de la longue ligne de 4000 miles tracée depuis le 6 mai dans l'île de Manhattan viendra buter sur le nord de la presqu'île de SAN FRANCISCO, après avoir traversée treize États: New York State, New Jersey, Pennsylvania, West Virginia, Ohio, Indiana, Illinois, Missouri, Kansas, Colorado, Utah, Arizona, California.

Je voulais voir Brice Canyon et j'ai vu Oak Creek Canyon, je voulais assister à un pow how et j'ai été spectateur d'un rodéo, je pensais entendre beaucoup de country music et j'ai été entraîné dans le ragtime et le bluegrass. On imagine, la route décide. Ce qui a été a été. Je n'ai aucun regret.

Ulloa street

J'aurais pu consacrer plus de temps à la découverte des villes, aller voir à droite, à gauche des curiosités, visiter les petits musées locaux, flâner en route. J'ai choisi de rouler sans m'attarder pour arriver tôt à l'étape, assurer l'hébergement (la tente et le couchage n'ont pas servi!), éviter les pics de chaleur, passer avant les orages vespéraux, prévoir une panne mécanique, me donner du temps pour l'intendance et la vie du blog.
J'aurais pu m'arrêter régulièrement dans des bed and breakfast pour partager la vie de couples américains, camper dans les espaces touristiques pour me rapprocher de la nature. J'ai opté pour les motels, souvent impersonnels et standardisés, implantés généralement en périphérie des villes. Ils m'ont assuré un temps personnel pour les nécessités pratiques et la maîtrise des horaires matinaux. Ils m'ont aussi permis de tenir le budget (je n'ai utilisé que les 3/4 de mes ressources) et les délais (j'avais prévu 80 jours, j'en ai mis 79 avec les 4 jours d'arrêt à SALINAS); l'option B&B implique plus de temps pour la recherche d'information, moins de temps sur la route à cause des départs tardifs, au total plus d'étapes. Je ne suis ni socialement inactif, ni fortuné.

Upper great highway

J'aurais pu galérer à cause de gros ennuis mécaniques, rayons défaillants, maillon de chaîne desserti, pédalier dévissé, roue libre cassée. Je n'ai eu qu'une panne de compteur les huit dernières étapes, quatre crevaisons soit une par mille miles et une seule à traiter en bord de route. J'ai un peu râpé une sacoche avant en arrivant au terminal conteneur de Fos à cause d'un trottoir très haut. J'ai cassé mon rétroviseur dans l'est du pays, à une époque où je trouvais encore des cycle
shops, et l'ai remplacé quelques heures après par un article robuste et pratique. Mes lunettes de vélo, déjà anciennes et... en ruine ont fini à Parker sous les roues d'un truck. Je n'ai pas eu de mal à trouver mieux deux cents mètres plus loin . Pour le reste, je n'ai rien perdu, rien oublié nulle part.

Quand j'aurai changé les pneus et les patins de freins, passé la chaîne au spray et resserré les câbles, je pourrai reprendre la route en toute sécurité. Il faudra peut-être vérifier l'état de quelques rayons de la roue arrière à cause d'un handicapé moteur (mais qui devait l'être aussi dans la tête) qui, en déplaçant violemment le vélo cadenassé, a entortillé l'antivol autour de la roue et du dérailleur. C'était devant l'épicerie d'un village fantôme où j'aurais pu rester bloqué. C'est un miracle que rien n'ait lâché. Je peux dire merci à Rando-Cycles, le fabriquant, pour la qualité des pièces. Dernière satisfaction, toute personnelle, la chambre à air rustinée qui a équipé la roue arrière après la quatrième crevaison a tenu malgré les 127F de l'avant-dernière étape (53 degrés), preuve pour moi que mes réparations n'étaient pas que... du vent.

Geary avenue

J'aurais pu être accidenté. J'ai vite compris combien dangereuses sont les routes américaines. Tous les jours, avant de partir, je me demandais si je ne commençais pas l'étape où un conducteur maladroit, imprudent ou assassin me percuterait par l'arrière ou me ferait valser par le côté. Je m'imaginais sur la route, membres ou vertèbres fracturés, paralysé ou pire.

En me quittant, le premier jour, Gerry m'avait lancé un amical et très appuyé "go safe" (soyez prudent). Après lui, des dizaines de femmes et d'hommes, partout où je m'arrêtais, m'ont souhaité des "have a safe trip", "good luck", "be safe". Pamela m'a béni. Ma mère a prié pour moi. J'ai pour ma part été toujours prudent, concentré, attentif. Mon regard a constamment balayé dans un mouvement continu le lointain, la chaussée, le rétroviseur. J'ai toujours adapté ma position sur la route aux circonstances de la circulation.

C'est un miracle: je suis indemne.

25th avenue

J'ai souvent eu en tête l'interview sur France-Inter de ce navigateur solitaire qui, il y a deux ans environ, a pulvérisé le record du tour du monde à la voile sous vents contraires. En quête de croustillant, le journaliste voulait le faire parler des galères de santé. Et le marin se bornait à lui répéter: je n'ai pas eu le moindre bobo, je n'ai rien à raconter à ce sujet. L'homme avait 57 ans à l'époque et je m'étais dit: "tiens, mon âge quand je traverserai les USA". Ça doit être un âge favorable.

A part les brûlures de la peau dues à un cuissard, disparues après un achat de vêtements, de courtes étapes et de bonnes pommades, je n'ai moi non plus rien à déclarer. Je peux donner ma trousse à pharmacie au suivant, elle est complète: arnica, belladona, gélules d'Imodium contre la diarrhée, pommade Cicatryl pour la désinfection des plaies, compresses, aspi-venin, Imudon contre les aphtes (qui apparaissent à la première entorse au régime sans gluten), etc, etc. Pas de mal de ventre malgré la cuisine des restaurants, pas le moindre début de rhume malgré les alternances chaud/froid (les clim, ici, ça déménage), pas une piqûre d'insecte, pas une égratignure, pas un coup. Ah, oui: j'ai pris un Doliprane l'avant-dernier jour pour soulager un mal de tête "psychologique" dû à la conjugaison d'un départ trop tardif de chez les Walker et d'une température record sur la route. Avouez que c'est peu. Pour revenir à un comment de JCC, c'est ce que j'appelle la chance.

Lincoln boulevard

Le temps passe.
Depuis que nous parcourons ensemble les boulevards, avenues et rues de SAN FRANCISCO nous approchons du terme. Un écrivain rature une dernière fois les épreuves avant de donner le bon à tirer, un cinéaste demande au monteur une dernière coupure pour corriger une rupture de rythme, un peintre écrase une dernière fois au couteau une parcelle de toile avant de signer son oeuvre. Quant à moi, après tous ces numéros de routes et de rues, il me faut conclure par une dernière voie.

Ce sera
Marine drive,

où le voyage de rêve s'achève devant un portail doré, comme l'est, peut-être, la porte du Paradis. En face de nous, l'aérienne structure rouge du Golden Gate bridge* s'élance, légère, au-dessus du bleu profond du Pacific Ocean.

FIN

*Golden Gate = portail doré. Le Golden Gate bridge est le célèbre pont qui relie les deux rives à l'entrée de la baie de SAN FRANCISCO, lieu dit: Golden Gate.


And now? (Et maintenant?)

"The past is never dead. It's not even the past".

Le voyage n'est pas terminé, il va continuer. D'ici quelques semaines, peut-être vers la fin août, je vous livrerai quelques réflexions inspirées par trois mois d'errance transocéanique et transcontinentale. Je vous parlerai aussi de cette grande première qu'a été pour moi la narration du voyage à chaud, c'est à dire du blog, de ses servitudes, de ses magnificences.

A peine un peu plus tard, dans le courant de l'automne, je vous propose une soirée de retrouvailles. J'ai un projet.

"Encore!" allez-vous dire.

Vous avez vu quelques photos sur le blog et vous allez encore en voir (je vous dois toute la fin). Mais mon stock d'images est impressionnant. J'ai l'intention d'utiliser cette "banque" pour faire réaliser par un professionnel un spectacle audio-visuel avec toutes les musiques que j'ai eues en tête sur la route, plus tonique que les interminables séances de diapos qui lassent le spectateur avant de l'endormir. Ce "show" pourrait nous permettre ensuite de bavarder en maniant la fourchette et en vidant quelques bouteilles, de vin de Jurançon ou de... Californie.

Ainsi pourrions-nous partager, ensemble, tous les bonheurs du V2V trip!

***

From Redwood City (California)
Silicon Valley - July 23rd

Je vous avais promis la fin du récit du séjour à SALINAS. La voici.

Mercredi.
Brenda a organisé la journée de façon à ce que les activités de chacun soient coordonnées au mieux. En partant chez le coiffeur, elle me dépose à CARMEL. Cette petite localité, toute proche de MONTEREY, est une station balnéaire où il y a visiblement beaucoup d'argent. Pour vous donner une idée rapide, c'est un combiné de Biarritz et de Deauville. Toutes les maisons particulières rivalisent de charme et de couleur. Elles sont cernées de jardins fleuris avec beaucoup de goût. Dans la rue principale, qui descend vers la plage, des boutiques originales voisinent les galeries d'art. Pour le flâneur que je suis, c'est un régal. Et oui, contrairement à beaucoup d'hommes, j'aime le shopping! Personne n'est parfait. Je me laisse tenter par une vitrine de savons et produits de bains très originaux où j'achète un cadeau pour mes hôtes.

Brenda me reprend sur la plage à l'heure convenue et, avant de rejoindre Ray qui a rendez-vous chez le docteur, elle me laisse à MONTEREY, sur le port. J'ai quartier-libre pendant quatre heures. J'en profite pour longer la mer et traverser l'ancien quartier des sardiniers qui a été remarquablement restauré et réutilisé après la disparition des conserveries, quand la "ressource" (le poisson) a été épuisée. Très rapidement, je me retrouve à l'aquarium pour une longue visite. Il y a très longtemps que je n'ai pas fréquenté ce genre d'établissement. Celui-ci, dont la plus grande partie est consacrée aux espèces vivant dans la baie, est riche et intéressant. La baie de MONTEREY elle-même a été transformée en sanctuaire marin à l'initiative de David et Lucile Packard, l'industriel et sa femme. David Packard estimait que "the ocean is the most important frontier we have" (l'océan est notre plus importante frontière). C'est également le couple qui a créé la fondation à l'origine de l'aquarium.

C'est une bonne nouvelle: Ray est OK. Ray a été victime d'un infarctus et a subi une très importante opération. Il doit donc se surveiller. Le trio réuni, nous partons pour PACIFIC GROVE, une autre commune de la baie. Comme ça, me dit Brenda, vous aurez visité toute la région. Le bord de mer y est magnifique et encore j'arrive paraît-il un peu tard, après les plus spectaculaires floraisons des parterres qui le bordent.

Jeudi.
Point Lobos, dit un dicton local, est un endroit si beau qu'on peut le photographier à n'importe quelle heure, même la nuit. Ray a choisi de m'y amener le matin, quand la lumière est la plus belle. Ce petit state park de la baie de MONTEREY est un bijou. On peut y observer tout à loisir, très près de la côte, des animaux que nous ne pouvons pas voir par chez nous: l'otarie de Californie et ses aboiements rauques, la loutre de mer du sud qui se laisse flotter dans le lit de varech ou plonge à la recherche de nourriture, beaucoup d'oiseaux qui ont colonisé une île entière. J'ai été personnellement séduit par la beauté exceptionnelle de la forêt de
cyprès de Monterey. Les arbres sont accrochés aux falaises sur lesquelles nous nous promenons. Tordus par le vent et les embruns, ils défendent la terre. Certains spécimens morts sont couverts d'une algue orange ou dressent leur silhouette décolorée et torsadée. Sur le bleu du ciel ou sur un fond de rochers nus c'est superbe.

En parlant incidemment de "travel with Charley" avec Brenda, j'ai appris que SALINAS est la ville natale de John Steinbeck. Au retour de Point Lobos, Rey me propose d'aller manger au centre culturel dédié à l'écrivain. Ce centre abrite un restaurant situé juste en face d'un superbe mural que vous verrez en photo. Après le lunch, Rey me promène en ville pour me montrer la maison natale de Steinbeck, et la bibliothèque.

Voilà tout ce que j'ai découvert avec Brenda et Ray. Vous aurez les photos dès que possible et pourrez juger par vous-mêmes. Dans l'immédiat, je veux vous dire deux mots de ce couple magnifique. Il est très agréable de partager leur vie tant il y a entre eux beaucoup de respect et de tendresse. Ce sont deux caractères qui se complètent à merveille. Ray est un boulimique de la vie. Il veut tout vous montrer, tout expliquer. Passionné de science et de géographie, il sort toujours le document qui vient enrichir une conversation. Il aime beaucoup la nature et dispose d'un stock de cartes impressionnant. Il m'en a donné plusieurs pour finir la route. Par-dessus le marché, c'est un excellent photographe. Ne laissez pas Ray trois minutes pour aller prendre une photo, vous le retrouverez en conversation avec quelqu'un, tant il aime la relation humaine.

Brenda est une femme étonnante. Elle est Sud-Africaine d'origine et comme elle le dit elle-même, n'a pas toujours un comportement américain. Par exemple, avec des parents d'élèves (elle est professeur d'Histoire), elle va discuter longtemps, comme les Africains, plutôt que d'imposer une décision. Comme elle dit, elle est à l'opposé du style two-minutes manager”. Je comprends très bien son Anglais pour deux raisons: elle parle une langue très formelle et très riche, et elle a une élocution remarquable par phrases entières très bien construites. Autant vous dire que dans sa tête, il y a de l'ordre! Les bons plans, ça la connaît. C'est une femme de rigueur. Elle aussi aime la nature et les voyages. En 1998, elle a parcouru l'Amérique de l'Ouest jusqu'au Canada, seule, dans un mini-van, couchant tantôt dans la voiture, tantôt au motel, mais le plus souvent sous la tente. Tout ceci ne serait rien si elle n'était, comme son mari, un grand cœur. Sa bonté est naturelle.

Vous l'avez compris, j'ai vécu avec Brenda et Ray près de cinq jours qui vont beaucoup compter dans le voyage, et dans ma vie.

Je les ai quittés à regret pour aller partager à SANTA CRUZ, l'espace de temps d'une étape, la vie d'une autre famille qui m'a accueilli avec beaucoup d'amitié et de simplicité: Carol et Murray Walker, leur fille Kim et un jeune voisin sympathique, Rogan. J'aurai peut-être le temps de vous en reparler plus longuement. Dans l'immédiat, à un jour de l'arrivée, avouez que je ne suis pas malheureux de vivre des moments si riches.

So far, so good.

From Salinas (California)
July 20th

Pour la première fois depuis le départ de New York, la balise rouge de Google Earth Map est restée immobile plus de deux jours. Elle est bloquée à SALINAS par deux grands cœurs, Brenda et Ray. Reprenons le fil des évènements.

Les "coteaux"

Pour éviter la freeway 101 qui relie PASO ROBLES à KING CITY, j'ai le choix entre deux back roads (routes secondaires): l'une à l'est par les “Cholame Hills (collines de CHOLAME) que j'ai traversées avant d'arriver à PASO ROBLES, l'autre à l'ouest par les “Coast Ranges (la chaîne cotière) qui séparent la vallée de SALINAS de l'océan Pacifique. L'itinéraire ouest étant composé de county roads (routes de conté) clairement numérotées, je choisis la deuxième option. L'informatrice du visitor center me confirme que c'est une jolie route de collines, pas une route de montagne, avis que j'enregistre avec "des pincettes". Je ne m'attends pas à du facile.

Et ça commence mal. D'abord, mon pneu arrière étant à plat, je m'échine une demi-heure à regonfler à cause d'un problème de valve tordue. Ensuite, les premiers miles confirment mes doutes: l'itinéraire est extrêmement technique, toujours en montée ou en descente, et je suis obligé de changer incessamment de braquet. Il exige concentration en raison d'un important trafic touristique en ce samedi matin, de nombreuses voitures lestées de remorques à bateaux prenant la direction des lacs vers lesquels je monte. Bientôt la pente, globalement ascendante, devient très forte, jusqu'à ce que, sur un demi-mile, j'affronte un 12% carabiné. Tous ces efforts pour reperdre très vite de l'altitude et recommencer à monter. Dans ces cas là, je ne passe jamais en force. Si la difficulté persiste loin dans l'étape, je me dois de conserver des forces. Autant vous dire que j'avance donc très, très lentement.

Cette première partie de la route traverse un paysage de vignobles qui me fait beaucoup penser aux coteaux de Jurançon. A l'approche du lac Nacimiento, le décor devient montagneux. Ça monte encore après la pointe du lac que je traverse sur un barrage. J'atteins l'altitude de 1440 pieds. Ce n'est pas très haut, à peine 430m, mais au moment où je pense pouvoir profiter d'une route de crête, patatras! Une descente impressionnante me ramène illico à 790 pieds. Pendant le replat, je me demande à quelle sauce je vais être mangé pour la suite. A aucune! la route ne remonte plus et quand j'arrive à LOCKWOOD, à midi, c'est pour constater grâce à un panneau routier qu'il ne me reste plus que 24 miles jusqu'à l'arrivée. Je consacre très peu de temps au repas puisque le village, au carrefour de quatre routes est constitué en tout et pour tout d'un grocery store (une épicerie), très mal achalandée. Je mange un biscuit, un fruit, je bois et ça repart. Sur les 10 derniers miles de l'étape, la route remonte insensiblement jusqu'au passage d'un petit col, avant de s'effondrer vers KING CITY. Mais je dois livrer une heure de bataille contre le vent du nord qui s'est levé à13H30 et forcit nettement après 14H. Comme toujours dans ces combats difficiles de fin d'étape, je pense à ceux que la maladie force à d'autres luttes, d'une toute autre nature que les miennes.

Après installation au motel "Courtesy Inn", repas de midi à côté, au “Coffee Shoppe, à... 15H30, douche et lessive, je m'en vais visiter le centre-ville. Je suis surpris par la comparaison entre PASO ROBLES, ville très américaine avec un nom hispanique, et KING CITY, cité totalement sud-américaine malgré son nom anglais. Au retour dans Main street (rue principale, grande rue), comme je vais vers le sud, je peux apprécier la nature du vent que j'ai affronté: je donne le premier coup de pédales et je me retrouve tranquillement 1,5 mile plus loin sans avoir donné le second!

Je téléphone comme convenu à Raymond Dick et Brenda: ils sont rentrés de vacances et m'attendent pour le lendemain.

L'hélicoptère

Pour les mêmes raisons que la veille, j'ai prévu de remonter la vallée de SALINAS sur les back roads (routes secondaires). Le début de l'étape est un gentle rolling (doux vallonnement), jusqu'à ce que je traverse la vallée a GREENFIELD où je croise un cycliste. L'homme me confirme que la route est facile mais, me dit-il, ne perdez pas de temps parce que le vent du nord souffle l'après-midi. Tiens, tiens, mon infortune d'hier n'était donc pas due au hasard mais à un phénomène météo bien connu des gens du coin. Subséquemment, nous allons bon train. Hélas, Éole n'a pas prévu de faire la grasse matinée en ce dimanche. Il se lève à 11H30. Mon cher et vieil ennemi, nous voici de nouveau face à face (cette réécriture de la phrase de Charles de Gaulle, "mon cher et vieux pays, nous voici de nouveau face à face", est plus particulièrement destinée à mon filleul et neveu Fred, que je sais très intéressé par la carrière du Général).

Red Dog me fait traverser une immense étendue de cultures potagères. Il faut vous dire que la vallée de SALINAS, déjà large de 12 miles (20km) à GREENFIELD la bien-nommée, va en s'évasant vers le nord. Vous comprendrez pourquoi, tout en étant intéressés, nous ne soyons pas extrêmement surpris d'apercevoir devant nous un hélicoptère déversant du produit sur une parcelle grande comme une dizaine de terrains de foot. Nous nous arrêtons, afin de préserver toutes nos chances au contrôle anti-dopage, et ne repartons que lorsque l'engin se pose pour recharger les réservoirs.

15 Del Rey Circle

Peut-être aurions-nous dû réfléchir davantage et nous laisser brumiser par le produit (revitalisant?) parce que c'est très fatigués à cause du vent que nous parvenons à 15H à Spreckels, quartier de SALINAS. Bloqué par la freeway 68, je dois contacter Brenda et Ray (Raymond) qui n'habitent en fait qu'à 3 miles du lieu de rendez-vous. C'est donc très vite que je me retrouve at home (à la maison). Un repas frais m'attend sur la table: salade, jambons (deux sortes), melon. Comme je n'ai rien mangé depuis le breakfast, je le déguste avec appétit, tout en reprenant contact avec mes hôtes. Je vous rappelle brièvement que j'ai rencontré Brenda et Ray à COTTONWOOD FALLS, dans le Kansas. Ils rentraient dans un restaurant d'o% je sortais. Sur le pas de la porte, nous avons causé 10 minutes. Ils m'ont spontanément invités à séjourner chez eux à la fin de la traversée, si j'en avais le temps.

Puis je suis installé dans la chambre d'amis où je prends la douche. "An other man", un autre homme, me dit Brenda avec son accueillant sourire, quand j'en sors. Pour la soirée, il est prévu un repas mexicain avec deux couples d'amis, des cyclistes. Même si leurs vélos n'ont pas servis depuis quelque temps, Brenda et Ray sont eux-mêmes des amateurs de plein air, marche et randonnée. Ils reviennent d'ailleurs de la Sierra Nevada. Ray a été dans sa jeunesse un champion de course a pied.

Belinda et Dave, Kande et Rob, arrivent peu après, apportant chacun une partie du repas. Brenda a cuisiné le poulet en sauce. Tout est délicieux et la tablée est extrêmement sympathique. Ça ne gâte rien à l'affaire, j'arrive à comprendre à peu près tout ce qui se dit. Je suis très intéressé par les explications de Belinda concernant le phénomène de vent du nord dans la vallée, dû essentiellement à une différence de température, très élevée à KING CITY, beaucoup plus fraîche au nord de SALINAS en raison de la proximité des eaux froides du Pacifique. Au total, le repas qui devait s'achever tôt, vers 20H30, en raison des occupations de Belinda et Dave, se termine peu avant 23H.

Le tracteur et le GPS

Lundi. Après un excellent et complet breakfast, Ray se propose de me montrer une partie de son activité professionnelle. Il travaille pour une grosse compagnie de légumes surgelés. Son job consiste à organiser et contrôler les cultures sur l'ensemble de la saison. Nous partons donc avec le gros pick-up de la société que Ray utilise pour accéder aux champs. Nous redescendons la vallée de SALINAS que j'ai remontée la veille en vélo, mais cette fois par la freeway 101. Nous nous rendons dans un champ de choux-fleurs où la récolte bat son plein. Les ouvriers agricoles mexicains, dont certains sont clandestins, cueillent les légumes et dans un incessant va et vient courbé/debout du corps les lancent sur un tapis roulant. J'imagine la difficulté physique de ce travail payé 7 ou 8 $ de l'heure. Mis en conteneurs et transportés par l'une des trois remorques qui assurent les rotations vers les camions garés à l'entrée du champ, les légumes ne resteront pas longtemps sur place! Ray en mesure quelques spécimens, pour vérifier qu'ils font "la passe".

Après quoi, Raymond m'amène sur un autre champ où un tracteur laboure. Nous sommes à un bout des sillons. Mais le champ est trop vaste pour en distinguer l'autre bout. J'admire la rectitude absolue du labour. Il y a un truc me dit Ray: regardez l'antenne sur le tracteur et regardez le conducteur; il ne conduit pas, il consulte un écran. Le tracteur est télécommandé par la liaison satellite et le système GPS. Ah, ouais, OK! Comme ça, je comprends!

La vallée de SALINAS est une très grande région de production de légumes. Sur l'ensemble du territoire des US, the Monterey County est le leader en tonnage dans treize variétés de légumes. L'importance de cette zone de production est symbolisée par des personnages géants à l'entrée d'un champ, près de la freeway 68.

Nous retrouvons au restaurant un collègue de Ray et le fils de celui-ci. Le jeune est une "tête". Artiste, très doué dans les études, il se prépare à partir à... Angers pour perfectionner son Français. Nous déjeunons. Je choisis une excellente Cypress salad (mix de salade et de pommes, mandarines, raisins, melons), assaisonnée de vinaigrette aux fruits rouges. Ça se laisse manger, quand il fait bien chaud.

Angous in California (Angous en Californie)

Histoire de digérer, nous nous dirigeons vers une parcelle en bordure de vallée, couverte de jeunes plants de vigne. Avec son pick-up, Ray cherche un peu, se perd, se retrouve. Nous finissons par apercevoir deux hommes courbés sur le travail. L'un d'eux est le boss (le patron). Quand il aperçoit Ray, séance tenante, il laisse tomber la vigne pour rejoindre son propre camion. Très vite, nous nous retrouvons dans la cave de Neil Bassetti pour déguster un Cabernet de derrière les fagots. Très avenant, Neil a l'air d'être une forte personnalité. Il me pose, par exemple, des questions très précises sur le voyage, différentes de celles auxquelles je dois répondre habituellement. Neil est Suisse-Italien (il tient absolument à la Suisse). Sa jolie femme est au bord de la piscine avec enfants et petits enfants. Elle se prénomme Adrienne, une sonorité très française. Son origine ne l'est pas moins. Les grands-parents d'Adrienne sont d'Angous, au sud de Pau, me dit-elle. Il me semble que c'est plutôt du côté de Navarrenx. Mais vu de si loin, nous ne sommes pas à un tel détail près. Moi qui était censé rencontrer des Basques en Californie, voilà que je tombe sur une Béarnaise. Diu vivan!

York School

Mardi. Cette fois, c'est avec le job de Brenda que je prends contact. Brenda est professeur d'Histoire et assistant-manager (directeur-adjoint) dans une high school privée. La high school est l'équivalent américain du lycée français. Celle-ci s'appelle“York School. Le niveau de l'école est excellent, mais il faut payer pour y étudier, l'école ne recevant aucune subvention publique. Elle est située au sommet d'une colline et constituée de petits bâtiments séparés les uns des autres à tel point que quand on y arrive on se croit plutôt à l'entrée d'un lotissement que d'une école. Pendant que Brenda vaque à ses affaires, je visite avec Ray la bibliothèque et la chapelle.

Pacific Ocean

Après quoi, grand moment, nous prenons la route de la côte du Pacifique. C'est donc en voiture que j'atteins l'autre rive du continent. Rassurez-vous, Red Dog ne perd rien pour attendre. Voici, au détour d'un virage une plage blonde et le bleu de l'océan. Il manquerait quelque chose au tableau sans une lande fleurie de jaune toute proche. L'endroit ressemble un peu à la plage de Bidart (je dis ça pour les "sud-ouest"). La différence essentielle c'est qu'il n'y a sur la plage pratiquement personne, à 11H du matin, et surtout aucun baigneur. Et oui, l'eau est ici un tantinet froide, de 13 a 15 degrés en été.

“Big Sur”

Après la séance photos obligatoire, nous partons pour Big Sur. Personne ne m'en voudra, je pense, si je me tourne un instant vers Ch.G. à qui je voudrais exprimer toute ma sympathie et que je remercie pour son intrusion dans le blog, aussi aimable que son permanent visage souriant dans les relations professionnelles. Ses avis ont été lus avec beaucoup d'attention. Sa recommandation essentielle portant sur cette partie de la côte Pacifique, je lui dis que j'ai pensé à lui à ce moment là, et pour les heures qui vont suivre j'assure tout le monde que Big Sur est bien la merveille annoncée. Découvrir plusieurs de ses aspects avec le couple magnifique qui me guide est la cerise sur le gâteau. L'ensemble fera de cette journée un moment du voyage que je placerai au niveau de Arches, Monument Valley, où Mojave desert. Mais revenons au récit.

CBS News: l'interview

Pour l'heure, nous descendons la côte en marquant de nombreux arrêts tant on ne résiste pas à une telle beauté. A un moment, nous arrivons sur un parking où est installée une caméra de TV. C'est CBS News qui prépare un reportage sur la côte. Et ce qui devait arriver arrive. Je me retrouve face à la caméra (je vous avais prévenus que ça finirait comme ça!). Le Français parle à l'Amérique et lui dit ce qu'il trouve de beau dans Big Sur. Et bien, je vais vous le dire. Il y a peu de plages sur cette côte, beaucoup de falaises, et la montagne avec toute sa végétation qui plonge dans l'océan. Les arbres sont des redwood trees, c'est-a-dire des séquoias qui étalent leur majesté. Les talus qui bordent la route sont couverts de tapis de fleurs, je dis bien de tapis, et quand vous verrez les photos vous comprendrez ce que ça veut dire: rouge, orange, bleu, jaune, gris-bleu. Il y a aussi une route, impressionnante, taillée dans le roc, toute en longues pentes, qui franchit les ravins en équilibre sur des ponts de longue portée.

“Nepenthe Restaurant”

A force de flâner, nous arrivons assez tard au restaurant. A vrai dire, le temps ne compte plus, nous en avons totalement perdu la notion. Le Nepenthe Restaurant est bâti au bord de la falaise, à 800 pieds au-dessus de l'eau (240m). La vue est si belle que les consommateurs mangent sur une double rangée de bars au bord du vide. Il y a aussi quelques tables, tout aussi proches de la nature, où nous nous assoirons après 1/2 heure d'attente. Le bâtiment, fait de redwood trees et de pisé, date de 1925, mais c'est une femme, Lolly Fassett, qui l'a en 1947 transformé en restaurant au motif que "no individual can own it, it belongs to everyone" (aucun individu ne peut le posséder, il appartient à chacun). L'accueil du personnel est charmant, les plats savoureux et colorés et à la portée de toutes les bourses.

Sea lions and Waterfall

Dans l'après-midi, nous continuons vers le sud en reprenant notre route scandée par des stops. L'un d'eux nous permet de voir et d'entendre des sea lions (otaries) juchés sur les rochers en contre-bas. Pour finir, nous nous arrêtons à Julia Pfeiffer State Park où une courte marche sur un sentier audacieux nous permet d'admirer longuement une waterfall naturelle (chute d'eau), toujours au milieu d'une étonnante végétation. En remontant vers le nord (il faut bien revenir!), nous aurons encore le plaisir de parcourir une forêt de séquoias, un espace magique d'ombre et de lumière où, au milieu, coule une rivière. Dans le sunset (soleil couchant), le soleil nous offrira sa lumière argentée sur les landes naturellement fleuries et sur les ouvrages d'art édifiés par les hommes, notamment le Bixby Bridge que le cinéma a très souvent utilisé.

J'aurai encore à vous raconter la fin de mon séjour à SALINAS et à vous envoyer les photos. J'aurai aussi à vous parler de Brenda et Ray, mais je le ferai après les avoir quittés. J'ai peur de heurter leur modestie.

So far, so good? yes!




From Paso Robles (California)
July 12th

Dans ma lente et tranquille remontée de la Californie, je pensais ne plus avoir grand chose à vous raconter mais il est des gestes et des faits qui, s'ils laissent sans voix, ne peuvent rester sans mots.

John et Tina

Samedi 8 juillet, j'entre à VICTORVILLE, terme de l'étape. C'est suffisamment rare pour que je le remarque: un homme se tient sur le bord de la route et me regarde arriver. Pour gagner du temps, je vais pouvoir lui demander où se trouvent les motels. Mais voici que l'individu me fait un signe de la main en me tendant une bouteille d'eau. Je m'arrête. Visiblement, je suis repéré depuis un moment puisque le bon samaritain m'explique qu'il m'a dépassé sur la route. Là, il est avec son truck, un gros pick-up, mais en d'autres temps il a voyagé comme moi aujourd'hui, en vélo chargé. Il se présente, c'est John. Nous faisons rapidement connaissance. En deux mots je lui dis où j'en suis de la traversée. John me demande si je vois un inconvénient à faire un bout de chemin sans pédaler pour aller prendre un rafraîchissement chez lui. C'est à côté sur la colline. Illico presto, Red Dog est hissé dans la benne. Soulagement pour mon vélo qui n'est pas au mieux de sa forme: j'ai dû regonfler la roue arrière et j'ai l'impression qu'elle est à nouveau à plat, ce qui n'est pas bon signe.


Les traversées, John connaît. A vélo, il est monté jusqu'au Canada et a fait plusieurs allers-retours California/Florida, dont deux allers avec des femmes: la première fois avec sa première épouse, la deuxième fois avec... la seconde. La seconde en question vient nous ouvrir la porte. C'est Tina, une très belle plante. Tina ne doit pas être plus possessive que ne l'est mon Hélène puisque l'année dernière John s'est absenté sept mois pour descendre le Missouri et le Mississipi en canoë, de l'Oregon jusqu'au golfe du Mexique! Excusez du peu. Mais à part ça, que fait John dans la vie? Il s'occupe de la réinsertion sociale de jeunes drogués.


John me conduit à un bon motel. Nous continuons à bavarder. Il s'exprime posément, lentement, pas pour se faire comprendre, mais parce que c'est sa nature, l'attitude de celui qui explique et cherche à convaincre. Au motel, dans la chambre, pendant que Red Dog confirme que c'est un dégonflé (4eme crevaison, 3eme près d'un motel!), nous déplions les cartes. Alors, John, route côtière ou pas? La question m'est retournée. J'exprime ma méfiance pour les bords de côtes: montées et descentes souvent très abruptes, circulation intense en été, cherté de la vie et... coquetterie de ne "toucher mer" que le plus près possible du but pour ce "V to V trip". C'est l'avis de John. Il me trace la route en me décrivant tous les profils, en m'indiquant tous les endroits où je vais trouver des hébergements avant de me souhaiter bon vent.

John, premier bienfaiteur d'une série qui s'ouvre.


Eve et Pete

Le 11 juillet restera marqué d'un grand cœur dans l'histoire de ce voyage. C'est la journée du Secours Catholique, de la Croix Rouge, du Croissant Rouge, du Téléthon, des femmes battues et des Droits de l'Homme réunies en une seule.


Le matin, au terme d'une traversée magnifique sur une route de montagne déserte, route indiquée par le patron du motel Travelogue de TEHACHAPI, je stoppe devant le Keene Cafe. Ce "cafe" n'est pas en bordure ou au centre d'un village comme vous l'imaginez peut-être. Non, il est isolé, en pleine nature. C'est même la seule trace visible de la localité dont il porte le nom (KEENE). A vrai dire, je suis si surpris de le découvrir que j'hésite un moment. Est-ce que je m'arrête? Il est 10H, je n'ai pas vraiment besoin de déjeuner. Mais, par ailleurs, je vais devoir emprunter par la force des choses une freeway (route express) normalement interdite aux cyclistes, donc dangereuse. Comme il n'y a pas d'autre route possible, j'ai l'accord de la "Highway Patrol" (police de la route) que j'ai consultée avant le départ. Cet arrêt, c'est donc histoire de retarder un peu le moment du combat avec le très gros trafic.
Et puis, une oasis dans un désert ça ne ce saute pas!

A l'intérieur du Keene Cafe, il y a Eve, qui sert, et deux consommateurs. Pendant que je bois le café et m'attaque à une omelette mexicaine, Eve et Pete, un des deux clients discutent d'une petite route, dangereuse car très pentue et en mauvais état, avant que Pete ne propose de me faire traverser avec son... truck (toujours un pick-up), les 4 miles de la freeway. Il a juste une course à faire à la poste et revient me chercher. Pas de problème, je dois finir mon breakfast. Là où il y a un problème, c'est au moment de payer: non seulement Pete m'accompagne, mais il a déjà réglé l'addition! Je proteste pour la forme, mais le mal est fait. D'ailleurs, plus personne ne s'occupe de moi. Pete, Eve, le patron du Keene Cafe, le cuisinier, deux cow-boys qui arrivent pour déjeuner, bref la moitié de KEENE est autour de Red Dog en se demandant comment un engin aussi chargé peut mener de NEW YORK à SAN FRANCISCO.

La route de SAN FRANCISCO était verrouillée par une serrure de coffre-fort (le désert) et un petit loquet (ce bout de freeway). Pete vient de faire sauter la deuxième fermeture.

Carla

A 13H, il me reste 8 miles pour arriver à BAKERSFIELD. Je traverse le village de GREENFIELD; il fait très chaud, j'ai faim et soif. Le diable des estomacs en déroute me présente le “Carla Cafe”. Je stoppe.

Les esprits chagrins vont dire: encore une femme. Et oui! Jolie femme, sympathique, souriante: un sourire commercial? Peut-être. En tous cas, je commence par l'excellente soupe du jour et continue par une fraîche et savoureuse salade au poulet Tout de suite, je sens la différence avec pas mal de salades ingurgitées au hasard des routes. Pour prendre la commande, Carla (cette jolie femme n'est autre que le manager dont le cafe porte le prénom) Carla disais-je s'est assise en face de moi mais je vois que le message "pas de pain" a été reçu cinq sur cinq. Ça vous paraît évident, mais chaque fois que j'explique mon problème ("nothing from wheat, barley, oats and rye", rien qui vienne du blé, de l'orge, de l'avoine ou du seigle) on commence par me porter... les crackers, toujours servis ici avec la soupe. Carla, au contraire, a dit "so, no crackers" (donc, pas de crackers). Quand je termine, le cafe va fermer pour l'après-midi, je suis le dernier client. Carla me questionne sur le voyage, me dit que la coiffeuse du village est une Française et m'annonce qu'elle m'offre le repas! Après quoi, elle demande à une de ses employées de nous prendre en photo avec son téléphone. Évidemment, je m'engouffre dans la brèche. Vous aurez donc la photo du couple Carla/Bernard. Gâtés que vous êtes!

Tina

J'arrive au motel peu après. Tina, la réceptionniste, a chaud malgré la clim, ça se voit tout de suite à la manière dont elle s'évente avec des papiers. Elle n'est pas très en forme. Je lui donne un petit coup de main avec une plaisanterie insignifiante. A sa question "one bed?" (un lit?), je réponds: "one non smoking room, one man, one night, one bed. The bicycle doesn't sleep with me" (une chambre non-fumeur, un homme, une nuit, un lit. Le vélo ne dort pas avec moi). Elle sourit, me demande d'où je viens. "From New York City!" (de New York!). Du coup, pour moi, pas de taxe, le motel tout mouillé 50$!

Évidemment, je demande une photo. Tina se trouve très bien et me donne son adresse. Promis, je lui enverrai une photo-papier au retour.

Tout ça, moi, ça me laisse baba!

La Ford de Donald Turnupseed

Le 13 juillet, je suis sur la route 46, conseillée par John pour franchir la montagnette qui va me permettre de rejoindre PASO ROBLES. John a décrit cette route comme assez facile, et c'est le cas. Le somptueux paysage est marqué par un contraste étonnant entre le vert sombre des... vignes de Californie et les ocres, jaunes et bruns de collines désertiques.

Sur cette route 46, le trafic est important. Il devient carrément infernal quand s'y ajoute le flot qui vient de FRENO par la route 41. Heureusement, les shoulders sont larges et confortables! En tous cas je franchis prudemment, mais sans encombre, la "junction" des deux routes. Il y a déjà quelque temps, un jeune homme qui passait par la même route n'a pas eu cette chance. Alors qu'il arrivait à pleine vitesse au volant de sa Porsche, la Ford de Donald Turnupseed lui a coupé la route. Monsieur Turnupseed a déclaré ne pas avoir vu le Spyder bas et gris dans la lumière déclinante d'une fin d'après-midi de septembre. Heureusement, il s'en est tiré avec quelques contusions. Le jeune conducteur du Spyder Porsche, lui, est hélas mort sur le coup, nuque brisée, cage thoracique enfoncée. Né à MARION, dans l'Indiana d'une certaine Mrs Wilson, orphelin à neuf ans, il avait étudié à FAIRMOUNT. A l'époque de l'accident, il avait un contrat de travail à côté de LOS ANGELES, très exactement à HOLLYWOOD où il venait de terminer le tournage d'un film, "Giant". Ce funeste vendredi 30 septembre 1955, à l'âge de 34 ans, James Dean quittait la route pour entrer dans la légende.

Je me suis arrêté pour manger quelques centaines de mètres après le carrefour, au “Jack Ranch Cafe
. Comme à KEENE, ce cafe est tout ce que j'ai vu du village de CHOLAME. Ici, mon repas a duré un peu plus que d'habitude. Je me suis attardé devant les posters, photos, lithographies et articles de presse en grand nombre qui perpétuent le souvenir de l'idole.

Et la route?

Je m'aperçois que je vous parle de beaucoup de choses, sauf de vélo. Comblons rapidement cette lacune.

J'ai suivi presque à la lettre les conseils de John, et je n'ai pas eu à m'en plaindre. Je voulais aller vers PALMDALE, John m'a conseillé LANCASTER, juste quelques miles au nord. Je n'ai pas aimé cette étape. Parti trop tard de VICTORVILLE, j'ai eu très chaud. Mes fesses se ressentant encore de la grande étape du désert, je ne savais plus comment m'asseoir sur la selle. Le paysage désertique et vilain m'a ennuyé. Le compteur et les panneaux de signalisation m'ont donné des renseignements contradictoires sur le mileage et je ne savais plus où j'en étais de ma progression. Bref, rien n'allait. Aussi, quand j'ai aperçu sur le coup de 14H, dans la fournaise, un établissement à l'enseigne "wing and a prayer" (de l'aile et une prière) j'ai cru au paradis. Mais à l'intérieur, les seins des "hôtesses" n'étaient pas de ceux qui "marching in". La dame qui m'a accueilli, en particulier, ne soutenait pas ce qu'elle avançait. J'ai donc dû expliquer que j'étais surtout intéressé par un frais breuvage et éventuellement quelque chose à grignoter, mais pas de sandwich. Miracle d'une parole hésitante, je me suis vu servir une salade qui ne figurait nullement au "menu" de ce club. Et j'ai pu parcourir un peu revigoré les derniers 9 miles contre un vent qui ne m'a pas donné des ailes.

Je n'ai pas aimé LANCASTER, je n'ai pas aimé le motel, je n'ai pas aimé le restau du soir, si bien que le lendemain j'ai fui sans prendre le petit déjeuner avec l'espoir de trouver mieux sur la route. Et j'ai trouvé, j'ai trouvé à ROSAMOND le Roadside Cafe (restaurant du bord de route), joliment décoré d'une fresque murale et à la cuisine appétissante. Assis au bar (j'aime m'asseoir au bar, on lie tout de suite conversation), j'ai parlé avec un vieux monsieur qui a dit tout haut à la serveuse que j'allais vers TEHACHAPI. Un couple de consommateurs a entendu et avant de payer le monsieur est venu me conseiller une route tranquille, celle que j'avais repérée sur la carte. Il me manquait le renseignement essentiel: où la prendre? Et je l'ai eu. John m'avait prévenu: là, ça monte. C'est parti gentiment (2 à 3%), puis un peu plus dur (6 à 7%) pour finir à 10/12 sur deux miles au milieu de dizaines d'éoliennes. De 2300 pieds, je suis passé à 4600. A l'inverse de la veille, je me suis régalé sur cette route. Au sommet je dominais le plateau de TEHACHAPI, une petite ville très agréable. La library étant fermée le lundi, j'ai pu y envoyer les photos du désert grâce à la compréhension d'un couple qui tient un computer shop et qui m'a prêté un ordinateur. Je les ai bien remerciés et leur ai dit que je trouvais beaucoup de gens très généreux sur cette route de l'ouest. Le patron m'a répondu: "j'ai beaucoup voyagé et trouvé partout beaucoup d'aide. Ce n'est pas entre les peuples qu'on fait la guerre, c'est entre les gouvernements". Si ce n'est pas une philosophie politique, ça!

Le plaisir a continué le lendemain, vers KEENE et BAKERSFIELD. Comme je vous l'ai dit, j'ai écouté le patron du motel pour me diriger vers une route de montagne d'abord légèrement ascendante puis offrant une descente vertigineuse au-dessus du Tehachapi Loop, une curiosité mondiale en matière ferroviaire (Jacques doit connaître et pourra sans doute nous en parler). Après l'intermède “Keene Cafe et Pete (déjà raconté), j'ai suivi un toboggan qui m'a permis de glisser dans la plaine de BAKERSFIELD où il ne faisait pas froid. De 4000 pieds, j'étais descendu à 580! C'est là que j'ai aperçu les premières étendues cultivées où les Latinos s'échinent sous un soleil de plomb. C'est la fin du désert que la route a traversé depuis WICKENBURG, soit tout de même pour moi du 3 au 10 juillet.

De BAKERSFIELD à LOST HILLS je suis resté sur le plat dans le même partage de vert et de sable. Cette étape a été très dangereuse dans la première moitié: beaucoup de circulation et pas d'accotements. A plusieurs reprises, j'ai préféré m'arrêter que de risquer l'accident. Heureusement, la shoulder est revenue le lendemain et j'ai profité pleinement des paysages en gravissant un petit col facile dans les belles teintes d'ocres dont je vous ai parlé précédemment. A l'approche de PASO ROBLES, après la James Dean memorial junction, les propriétés viticoles richissimes ont carrément pris l'ascendant.

La suite


Un chiffre: je suis, par la route, à... 33miles du Pacifique (50km)! Imaginez mon état d'esprit. La route de l'ouest, c'est fini! Je vais maintenant me diriger plein nord. Pour demain et après-demain, 15 et 16 juillet, au milieu des vignes et en bordure de lacs, sur des back roads (routes secondaires), deux très belles étapes me sont promises par l'office de tourisme de PASO ROBLES, jusqu'a KING CITY d'abord et MONTEREY ensuite. Là, je vais sans doute rendre visite à Raymond et Brenda, rencontrés dans le Kansas et qui m'avaient invité (je les ai joints au téléphone, ils reviennent de vacances samedi). Ensuite, je serai à deux petitounes étapes de... SAN FRANCISCO! Je vais essayer de tenir jusque là, malgré les défaillances techniques qui se multiplient: une tâche sur l'objectif de l'appareil photo, le compteur qui ne fonctionne plus, la montre qui m'a lâché ce matin après des années de loyaux services (Pierre, tu vas avoir un client au retour). Bref ça sent la fin. Mais le moral étant au top, on peut encore terminer sur un:

So far, so good!

From Yucca Valley (California)
July 8th

"Je sais que cela vous paraîtra sans doute tiré par les cheveux, dis-je à Élisabeth, mais si l'on me demandait: "A quoi sert un gros cerveau?", je serais tenté de répondre: "A trouver son chemin en chantant dans le désert"... Elle dit en souriant: "Moi aussi je crois que les hominidés étaient nomades". (Bruce Chatwin - citation transmise par Michel Jodoin de Montreal, Quebec)

J'ai traversé le désert.

Je n'ai pas un gros cerveau, je n'ai pas de gros mollets ni de grosses cuisses, je suis foutu comme un stick au fromage pour apéritif, mais j'ai traversé le désert.

Pris par vos soucis d'examens des enfants, de préparation des vacances, pris par les évènements sportifs, ces quelques mots: "j'ai traversé le désert" vous paraîtront banals. Pour moi, ils pèsent très lourd.

J'ai traversé le désert. Je suis passé outre une foule d'appréhensions de tous ordres: la distance, la chaleur, la soif, le vent contraire, la panne, l'accident.

J'ai traversé le désert. Je suis allé au bout de moi-même, au-delà de la souffrance, au-delà de la douleur, jusqu'à l'inconscience.

La décision

Sauf à me retrouver à la frontière du Mexique, ce qui serait ridicule, je n'ai pas d'autre solution que de franchir les 115 miles de désert qui séparent PARKER, ville frontière entre l'Arizona et la California, de TWENTYNINE PALMS (29 palmiers), première ville de California. Sur ces 115 miles annoncés par les cartes, je peux espérer trouver un ravitaillement à 17 miles de PARKER, à la jonction entre la 62 west, route du désert, et la 95 qui relie du nord au sud deux interstates (autoroutes). Après, c'est le vide.

A part le vélo, plusieurs solutions sont envisageables:
- Le train. Il y a une compagnie dite "Arizona-California", mais elle n'assure que du transport de marchandises me dit le bureau de PARKER.
- Le bus. D'après le visitor center de PARKER, aucune ligne de bus interétatique ne passe par la ville.
- La location de voiture. Il y a un loueur à PARKER. Je le contacte. C'est un particulier. Le tarif est ridicule (45$ pour la journée) mais... on ne peux pas laisser le véhicule de l'autre côté, il faut le ramener.
Il reste le stop. J'envisage un moment d'aller jusqu'a Vidal Junction, carrefour de la 62 et de la 95 et d'arrêter un camion ou un gros pick-up qui accepterait de me prendre.

C'est aléatoire. Quand, la veille d'arriver à PARKER, j'achète des piles pour donner une nouvelle puissance à ma torche avant, je pense que j'ai déjà décidé de tenter le coup.

Les informations

Au visitor center de PARKER, où j'arrive très tôt, à midi, après une étape express de 54 miles en descente et vent arrière, je trouve un monsieur qui a l'air très sûr de lui et très fiable. C'est lui qui me dit qu'il n'y a pas de bus, m'indique l'adresse du loueur de voitures, me conseille un motel à l'entrée est de la ville plutôt que celui où je pensais aller à la sortie ouest... pour m'éviter un mile de trop le lendemain. Il me renseigne aussi sur la route. Je dois m'attendre à des températures très élevées, à un trafic insignifiant. Par contre, il y a un poste téléphonique tous les miles pour demander du secours. Et le profil? Est-ce montagneux? "No, gently rolling a few miles and then flat" (légèrement vallonné pendant quelques kilomètres et après plat).
Alors, ce motel? A l'est ou a l'ouest? Je vais voir celui qu'il m'a conseillé, l'autre je l'ai déjà repéré. Ça n'a pas l'air mal. Pratiquement sur le parking il y a un restaurant, plein de monde. J'y déjeune le temps de laisser mûrir la décision. Tout d'un coup, quelque chose attire mon attention: "open 24 hours". Ça c'est important, pour déjeuner très très tôt demain matin. C'est donc à côté que je vais demander une chambre, et tant pis pour le mile en plus!

La préparation

Dans l'après-midi de mercredi, après avoir mis une croix sur le voyage en train (qui m'aurait plu) et la location de véhicule (qui était un pis-aller), je vais à la public library pour vérifier une autre information que m'a donnée le monsieur au visitor center, c'est a dire m'assurer qu'il y a bien des motels à TWENTYNINE PALMS. Devoir ajouter 25 miles supplémentaires pour aller jusqu'a YUCCA VALLEY mettrait un terme à la tentative. Mais c'est bon, j'aurai le choix. J'en profite pour regarder s'il n'y a pas possibilité de couper l'étape en deux. Au milieu de la route 62, en effet, une autre route, la 177, descend plein sud pour rejoindre l'interstate 10 à DESERT CENTER. Mon informateur, toujours le même, m'a dit qu'il n'y avait là qu'un cinéma et une station-service. J'y découvre autre chose: un camping avec tous les services. Voilà qui est rassurant. Si la route est trop longue, je peux descendre à DESERT CENTER et remonter le lendemain, ce qui me ferait deux étapes de 85 miles au lieu d'une de 115. En fait, tout dépendra du vent.

Côté pratique, depuis deux jours, j'ai laissé fondre à tout hasard mon stock de galettes de riz, qui remplacent le pain à tous les repas et notamment le matin, mais qui prennent pas mal de place dans les sacoches. Après le petit-déjeuner du lendemain, il ne devrait plus m'en rester. L'espace est donc libre pour l'eau et les fruits. J'ai décidé en effet de me nourrir frais et léger; je pense que je n'aurai pas faim d'aliments traditionnels, la chaleur à l'intérieur des sacoches risquant de rendre tout immangeable. J'achète sept pommes, deux bananes et quelques abricots. J'achète aussi neuf bouteilles d'eau de 69cl. deux d'entre elles vont remplir les bidons, le reste doit rentrer coûte que coûte dans les sacoches. Mon stock d'eau s'élève donc à six litres soit un litre pour chaque 20 miles.

Je rentre ensuite au motel pour tout préparer, c'est a dire laver pommes et abricots, les sécher, les emballer séparément, et réorganiser complètement les sacoches pour caser l'eau. J'expérimente en plus un système pour emporter deux bouteilles d'eau du robinet qui serviront à mouiller la tête et la nuque. J'ai amené à tout hasard deux mini-sandows. Je trouve facilement le moyen de fixer une bouteille sur chaque sacoche avant.

A 18H30, tout est prêt, je vais dîner à côté. Je m'assure qu'il n'y aura pas de problèmes pour prendre le breakfast entre 3 et 4 heures. Il est en effet hors de question de partir le ventre vide.

En rentrant dans ma chambre, je constate que le sentiment d'appréhension qui montait lentement depuis deux ou trois jours à la perspective de cette difficile épreuve fait place maintenant à l'impatience: je suis prêt au combat, mentalement, physiquement, matériellement et j'ai hâte d'en découdre.

Je me couche à 20H30. Je pense que je vais avoir du mal à m'endormir, mais la chambre est très confortable à tous points de vue, température, silence, lit. Je sombre tout de suite dans le sommeil après avoir écouté trois fois la chanson de Fats Domino "blueberry hill", un air excellent quand on l'a dans la tête pour donner du rythme au pédalage. C'est bête, mais j'ai comme ça des manies.

L'étape

Le réveil sonne à 3H. A 3H45, les sacoches sont prêtes, le vélo chargé, je pars déjeuner. Je suis le premier client mais évidemment je dois attendre un peu, le temps que la commande soit prête. J'ai choisi sans hésiter le big breakfast, steak, bacon, oeufs, hashbrowns. J'y rajoute plusieurs galettes de riz tartinées de beurre et confiture, eau, café.

A 4H45, je suis prêt à partir mais j'ai depuis deux jours un problème de compteur. Le décompte des miles ne démarre pas. Aujourd'hui, je dois absolument avoir une information fiable dans ce domaine. Le temps que j'arrive à faire fonctionner l'engin, il est 5H. Il fait encore nuit, mais ça ne va pas durer. La température s'élève déjà à 100°F. Je sors de Parker par le pont qui franchit la Colorado River. Je suis en California. Quelques miles après, je regarde le ciel comme me l'a conseillé Alain. Malheureusement, il est nuageux et je ne vois aucune étoile.

Le gentle rolling commence, la chaussée n'est pas très bonne et une torche de vélo n'est pas un projecteur. Je vais lentement pour éviter les trous et les cailloux. Heureusement, les premières lueurs du jour me facilitent la tâche, ce qui n'est pas le cas des camions, très nombreux depuis hier sur ces petites routes. J'ai compris qu'ils suivent un itinéraire leur permettant de couper entre deux autoroutes. Après Vidal Junction, je pense être plus tranquille comme on me l'a dit au visitor Center. Les premiers 19 miles passent malgré tout assez vite. A la jonction, je pense racheter de l'eau pour remplir les bidons, mais l'épicerie est fermée, le café n'en vend pas et le distributeur n'a que des grosses bouteilles.

Il est 7H10. J'ai 20 miles au compteur. Le soleil brille déjà chaud dans le dos. Une grande excitation me saisit. Cette fois c'est la bonne, je n'ai plus de filet de secours.

Comme me l'a dit très affirmativement l'informateur du visitor center, le profil est favorable, dès le départ. Ceci me surprend un peu puisqu'il m'avait parlé de flat (plat) après la séparation avec la 177 soit environ au 60eme mile. Et non seulement c'est plat, mais l'altitude diminue au compteur très progressivement. Conclusion, ça descend. Du coup, sans la moindre peine, j'avale les miles: 40 a 8H50, 50 a 9H35, 60 a 10H40.

Cette progression inclut les arrêts ravitaillement. J'ai décidé en effet un arrêt impératif chaque 10 miles pour manger un fruit, remplir les bidons, réorganiser les sacoches en fonction des bouteilles vides qu'il faut mettre dessous et des pleines qui doivent remonter, remettre de la crème solaire parce que la peau brûle, mouiller le protège-nuque, etc. En plus, je marche un peu, 3 ou 400 mètres, pour soulager les fesses et éviter l'ankylose des pieds. En dehors de ces pauses, je ne m'arrête pas. Je bois au bidon et attrape des fruits secs ou des barres en roulant. La distance est importante et je dois avancer.

Incontestablement, donc, l'affaire se présente bien.

C'est tellement bien que je jouis pleinement de la fascination du désert. Les couleurs du paysage sont exceptionnelles. Par exemple, les montagnes qui s'élèvent de part et d'autre de la route, qui ne sont que roc dépourvus de toute végétation, ces montagnes paraissent d'abord toutes roses dans le soleil qui se lève. Plus tard, elles montrent leur vraie couleur, un "taupe" tout à fait inhabituel, un marron à base de gris que je n'ai encore jamais vu pour un massif montagneux. Les arbustes rabougris ont du mal à exister dans un sol de sable.

Mais il y a d'autres surprises. A l'approche de RICE, une ville fantôme, voici soudain une... paire de chaussures accrochée à un arbre mort. Plus loin, c'est un véritable étalage de déchets. Quels plaisantins sont venus composer ces natures mortes? Elles montrent en tous cas que, comme partout sur les routes, les USA sont une poubelle à l'air libre.

Pour le silence du désert et la tranquillité qu'on m'avait annoncée, on repassera: voitures, pick-up, camping-cars, camions, le trafic est normal. Il y a même quelques imbéciles pour venir vous frôler sur des lignes droites vides de trafic de face. Je suis maintenant habitué à ces pratiques et je constate avec surprise qu'elles ne m'étonnent plus. J'en tirerai quelques conclusions le moment venu.

Voici la jonction entre la 62 et la 177. C'est ici qu'il faut décider si je traverse en une fois. Je me sens très bien, la température est supportable (entre 105 et 110F, soit entre 40 et 45 degrés). Je pars à droite, vers la 62, vers l'étape unique. Ça descend de plus en plus, ce qui m'inquiète un peu. Tout à coup j'aperçois un trait sur la montagne qui monte direct vers un sommet. Si c'est la route, ça promet. Je fais encore confiance au monsieur du visitor center. Il doit y avoir une courbe cachée quelque part. Mais quand je vois des voitures qui m'ont dépassé et qui ne sont plus que petits points brillants attaquer la montée, je constate encore une fois qu'il faut beaucoup se méfier des automobilistes. Avec un moteur et un accélérateur, c'est toujours plat.

L'ascension commence au mile 69. Il fait très chaud mais j'ai le vent avec moi. Je pense d'abord que j'ai deux ou trois miles à escalader. Mais quand j'arrive au point qui devrait être le sommet, c'est pour constater que ce n'est qu'un palier. Peut-être alors cette nouvelle ligne qui se dessine sur le bleu du ciel? Et bien non. Mon rythme de ravitaillement se dérègle un peu parce que j'ai très soif et je m'arrête plus tôt que prévu. Je commence à "piocher", le pédalage est moins souple.

C'est ainsi que le "plat" monte pendant 13 miles, soit je le rappelle 20km. J'arrive en effet au sommet au mile 82. Je suis éprouvé mais rien n'est perdu, le moral est excellent, les paysages somptueux qui maintenant offrent des oranges composant avec l'azur comme si la nature tenait à respecter la complémentarité des couleurs! Après l'hésitation, l'appréhension, l'impatience, l'excitation, je ressens la fascination. Beaucoup moins fréquentée, cette deuxième partie de la route m'offre en effet des moments de silence comme j'en ai peu connu en pleine nature. C'est un silence, lourd, total, absolu, minéral, le silence de l'immobilité, le silence de l'immuable. Pas un signe d'activité humaine, il n'y a pas d'hommes; pas un bruissement, il n'y a pas de feuilles; pas une ombre, il n'y a pas d'arbres; pas un pépiement, il n'y a pas d'oiseaux. Rien. La seule nature, brute, désolée, des rocs, des pierres, des buissons. Et le soleil, implacable. Au cours des pauses, quand je fais visuellement le tour de l'horizon, je mesure l'étendue de mon isolement. Je devrais en être inquiet. Je m'y complais, au contraire.

Au ravitaillement de 13H, j'ai atteint le mile 84. Il me reste quatre bouteilles et quatre pommes pour 32 miles et ça recommence à descendre, vent toujours de dos. J'envisage de plier l'affaire vers 16H. La progression reste bonne à 14H puisque j'ai dépassé le mile 94. Il ne peut plus rien m'arriver, je pense que c'est gagné. La confirmation vient une heure plus tard. A 15h, j'ai dépassé les 104 miles. Il me reste moins de 20 kilomètres et j'ai encore deux bouteilles pleines, plus une bouteille d'eau du robinet. Par contre, le compteur affiche 120F (49 degrés).

C'est à ce moment que je débouche sur une ligne droite qui miroite sous le soleil jusqu'à... l'horizon, une ligne droite ascendante. Un tourbillon de sable traverse la route: pour la première fois, le vent pose sur mon visage sa vilaine main et me bloque. Brutalement, les jambes ne répondent plus. Elles auraient peut-être pu affronter la côte, peut-être pu combattre le vent, mais la coalition des deux c'est trop. Je suis à l'arrêt, à l'arrêt sur le vélo. Je commence à avoir des frissons. Le mal de tête s'installe. Je m'arrête à chaque mile pour m'arroser, je bois incessamment, j'enlève le casque et le remplace par le bandana, je marche. Bref, le physique est en rade. "Mais enfin, 6 miles, 10km, c'est rien, tu vas les faire". J'ai beau me raisonner, quand il n'y a plus de forces ça n'avance plus. J'essaie de rester lucide. Quelques habitations commencent à apparaître, de-ci de-là, encore à l'écart de la route. "Tu es au bout, avance punaise". J'ai mal à la tête, il faut absolument me mettre à l'ombre. Je trouve mon bonheur sur un terre-plein sablonneux, à 30 mètres de la chaussée, où stationne un mini-bus. Je m'en approche à pied, au milieu des buissons épineux (la crevaison!), pose le vélo contre l'engin et m'assieds à l'ombre, avant de me coucher carrément pendant un quart d'heure.

Ça va un peu mieux, je repars. L'eau des bidons est très chaude. Un peu de liquide frais me ferait du bien. Il y a trois jours, je me suis arrêté pour demander à un automobiliste capot levé et tête dans le moteur s'il avait besoin de secours. C'était une fausse alerte. Après avoir réglé son problème et m'avoir dépassé, il s'est arrêté pour m'offrir de l'eau fraîche. Tous les Américains boivent dans leur voiture, à plus forte raison sur une route pareille. Je décide de tendre une bouteille vide aux voitures qui passent. Après une vingtaine de tentatives sans succès, j'arrête le cirque. Je ne suis pas ici dans un désert de chameaux et de bédouins mais sur une route de 4X4 et de truckers.

116 miles. Je suis devant un aéroport de plaisance. Je franchis le portail. Tous les bâtiments sont fermés. Je frappe à la porte de la maison du gardien. Un monsieur âgé m'ouvre et m'offre gentiment de l'eau fraîche. J'en bois deux bidons et repars avec les récipients plein après avoir entendu l'atroce nouvelle. Question: "Is TWENTYNINE PALMS far from here?", réponse: "six miles" (suis-je loin de 29 palmiers, 6 miles).

Je ne me souviens pas avoir parcouru ces 10 derniers km. Je me vois repartir, je vois la route qui monte et scintille, toujours droite et toujours face au vent. Et je me vois, un peu plus tard, à un carrefour avec des feux à l'entrée de la ville demandant à un automobiliste où sont les motels. Entre les deux, rien, aucun souvenir, l'inconscience totale, un état que les cyclistes connaissent bien. Ça s'appelle "le coup de barre". Quelques questions resteront donc sans réponse: me suis-je arrêté? Ai-je marché? Quel était le profil de la route?

Il est 18H, il m'a fallu trois heures pour parcourir 18 miles. Ça fait treize heures que je suis sur la route. Le compteur marque 122,2 (196km) et toujours 120°F.

Promis, je stoppe au premier motel. Le voici. Pas de chance. Le gardien s'est absenté un moment. Est-ce que j'attends? Non. Ça n'a pas l'air terrible. Je suis en ville. J'achète un litre et demi d'eau à la première gas station. Avant d'arriver à la caisse, j'en ai bu la moitié. Je repars, le litron sur le guidon. Deux cents mètres plus loin, un autre motel se présente: pelouse, palmiers, lauriers-roses, ici, il me faut une chambre. Il en reste une, non-fumeur mais "queen size bed" (lit en 160). C'est bon et ce ne sera pas de trop. Pour remplir le bulletin réglementaire, je m'y prends en deux fois. Je suis obligé de m'asseoir au milieu. La gérante de l'établissement, une Hindou, est inquiète et me demande si ça va aller.

Ça ira. Je commencerai à m'endormir après avoir posé le vélo et m'être affalé sur le lit. Un sursaut et... le froid me conduiront sous la douche chaude, avant que je me recouche et m'endorme jusqu'à la nuit. Je me réveillerai brusquement à 20H30, enfilerai un short et une chemisette et irai manger une omelette mexicaine à côté, pour me recoucher aussitôt. Ce sera la première fois depuis le départ que je ne ferai pas la lessive.

Mais c'est aussi la première fois que j'ai traversé le désert. Pour vous ces quelques mots ne sont pas grand chose. Pour moi, ils pèsent d'un poids très lourd: la route de SAN FRANCISCO est ouverte.

So far, so good.

From Wickenburg (Arizona)
July 4th


Nous allons bientôt en reparler, parmi les conclusions, et je ne fais donc qu'anticiper un peu en disant que ce voyage n'aurait peut-être pas eu la même saveur sans le blog. Une chose me gêne: l'anonymat ou le quasi-anonymat. En l'occurrence, je ne sais pas qui est Ch.G., bien que je pense deviner, et je lui saurai gré d'envoyer un mail à Hélène pour se dévoiler complètement (helenemenou@chez.com).

Je dois en tous cas lui dire qu'il me paraît fort bien connaître la région et le remercier pour avoir corrigé l'énorme faute que j'ai commise en parlant de "rim north" (rive nord) alors que c'était évidemment le "rim south" du canyon du Colorado que nous avons parcouru. Voilà ce que c'est de ne pas avoir de temps. Quant au peuple Navajo, je sens qu'il a eu la même réaction que moi. Je ne peux rien dire sur l'alcoolisme, je n'en ai pas vu de signes. J'ai d'autres choses à raconter mais il me faudrait pour cela du temps que je n'ai pas. Merci encore de ces compléments d'information si pointus et si bien écrits. Merci aussi d'avoir confirmé qu'aucune photo, surtout de compact, ne peut rendre le grandiose.

Les mauvaises nouvelles (suite)

J'ai crevé, à SEDONA, le matin en allant déjeuner. J'ai trouvé le pneu avant à plat en sortant de la station-service.

Les bonnes nouvelles (suite)

1- J'ai crevé pour la troisième fois, achevant ainsi un cycle (jamais 2 sans 3). Trois flats en 3000 miles, je ne suis pas malheureux. Du coup, j'ai réparé les chambres à air des crevaisons n°2 et 3 et tout est en ordre.

2- Pneu à plat, je ne me suis pas dégonflé. J'ai traversé la rue pour aller confier ma tête au barber. Je suis tombé sur un jeune, un artiste. Il y a longtemps que je n'ai pas été aussi bien coiffé. Nathalie va pouvoir s'aligner.

3- L'étape SEDONA /PRESCOTT qui s'annonçait redoutable a été magnifique: temps voilé très agréable, trafic insignifiant, chaussées parfaites, route conviviale (nombreux pouces levés sur les motos ou dans les voitures) et surtout une ascension de 13 miles sur des pentes régulières tournant autour de 7% dans des paysages de haute montagne époustouflants, soit trois heures de délices. C'est assurément la plus belle ascension de ce voyage. Dans le dernier quart de mile, j'ai été dépassé par une jolie cycliste qui m'a… arrêté pour me demander si tout allait bien avec les automobilistes. Je lui ai dit que non. Elle s'est excusée au nom des Américains.

4- A PRESCOTT, je suis arrivé en plein festival de rodéo, le plus ancien d'Amérique. Je me suis renseigné pour savoir si je pouvais y assister. J'étais à pied, c'était trop loin. Sur le trottoir, j'ai demandé à un monsieur, beau port, la soixantaine, chapeau de cow-boy noir de vingt-cinq litres, s'il s'y rendait. Il m'a répondu par l'affirmative. Lui et sa femme m'ont embarqué dans leur gros pick up. Je n'avais pas de billets. Il m'a dit de ne pas m'en faire. Arrivé sur place, il connaissait tout le monde, est entré dans l'enceinte en voiture, m'a installé sur une tribune à côté de sa femme et d'un ambulancier de sa connaissance. Sans le savoir, j'étais tombé sur une pointure. Jim et Necca Kenney sont de PECOS (Texas) où ils possèdent un ranch de 100,000 acres avec du bétail et plus de 250 chevaux. Douze de ces montures participaient au rodéo. Après les deux heures de spectacle, Jim et Necca m'ont ramené devant ma chambre, au motel. Il y a des photos, mais surtout d'ambiance, mon petit compact pouvant peu, la nuit, avec des sujets aussi mobiles que les cow-boys sur le dos des taureaux (encore moins qu'au Grand Canyon).


5- J'ai enfin trouvé une excellente carte de Californie. Je vais pouvoir étudier le problème de la traversée du désert, après en avoir eu aujourd'hui un avant-goût (115F, record égalé).

Depuis le 19 avril, jour du faux départ en famille, la chance me colle aux semelles et transforme ce voyage rêvé en voyage de rêve.

So far, so good.


From Sedona (Arizona)
July 1st

J'ai cédé à la tentation d'aller voir le "Grand Canyon" du Colorado. J'étais trop près pour résister.

Jackie et Jean-Louis vont avoir beaucoup de peine, eux qui m'avaient bien recommandé de m'offrir le survol en hélicoptère. Malheureusement je suis resté cloué à terre. Ce n'est pas faute, d'ailleurs, d'avoir essayé. Pour une fois, je m'étais organisé. J'avais étudié pas mal de documents de tour
operators. Finalement, mon choix s'était fixé sur une offre formidable: on venait me prendre à FLAGSTAFF pour me conduire à WILLIAMS (30 miles, impossibles à faire à vélo puisque seule une autoroute relie les deux villes); là, je prenais le train "historique" jusqu'à Grand Canyon Village où je pouvais rester la journée et survoler le site en hélicoptère. Ma déception a été grande d'apprendre que c'était complet pour les deux jours suivants...

Je me suis donc rabattu sur un tour classique, en mini-bus. Une jolie driver-guide, conductrice et guide, prénommée Felicia, étudiante en socio à FLAGSTAFF, est venue me chercher au motel. Nous avons pris tous les deux la route de WILLIAMS. Pendant le trajet, nous avons pas mal bavardé. A WILLIAMS, nous avons récupéré une famille dans un camping. Voilà une jolie famille: de la grand-mère aux tout petits, ils sont tous en vacances dans un énorme RV (camping-car). Du coup, nous avons rempli le car… à fond ( et pourtant,
don't drink and drive, boire ou conduire…, est rappelé sur de nombreux panneaux routiers). Nous avons passé la journée tous ensemble. La famille était très sympa. Hélas, les conversations ont été limitées. Ces gens étaient du Kentucky et leur accent était épouvantable. Felicia traduisait, heureusement. Mais je ne l'avais pas toujours a côté, hélas.

L'avantage de cette formule c'est que nous avons eu différents points de vue. Felicia nous a promenés tout le long du south rim, la rive sud, de Grand Canyon Village jusqu'à Desert View. C'était ce que j'avais prévu de faire à vélo mais j'ai dû renoncer, l'étape étant trop longue, sans services intermédiaires pour la couper.

Alors le Grand Canyon c'est, comme ils disent ici, breathtaking (à couper le souffle). Ce sont vraiment des paysages qui méritent leur réputation. Dans la matinée, une légère brume de chaleur gommait un peu les couleurs et les formes de l'immense excavation. Malgré tout, j'ai trouvé le site grandiose. L'après-midi, un début d'orage nous a gratifié d'un contraste étonnant qui a offert une netteté de traits incroyable, exactement l'inverse du matin. Là, j'ai dû hélas subir les contraintes du groupe. J'étais le seul à être équipé d'un vêtement de pluie et nous avons abrégé le dernier arrêt. Je l'ai un peu regretté pour les photos mais de toute façon ce n'est pas avec un compact qu'on peut "rendre" une telle ampleur de paysages.

C'est pour ça, malgré tout, même si on a déjà vu films, photos, reportages en tous genres, c'est pour ça que "voir" est autre chose. Pourquoi va-t-on voir et écouter les Noces de Figaro au Capitole de Toulouse ou Ben Harper au Zenith alors qu'on peut tranquillement écouter des CD chez soi, pourquoi va-t-on au grand prix historique de Pau alors qu'il y a des courses de formule 1 à la télé: pour la même chose, l'émotion. Le Grand Canyon, Arches, Monument Valley c'est l'émotion intense.

Je ferai toutefois une petite différence entre Grand Canyon et le reste. A moins d'y descendre en randonnée pédestre on reste, au propre comme au figuré, au bord du site, au bord de l'abîme. Je me faisais cette réflexion hier en arrivant à SEDONA. La route que j'ai suivie pour arriver ici traverse la Coconino National Forest et bascule tout à coup dans un profond canyon où l'on descend d'abord en lacets puis plus directement sur des miles et des miles. Cette vallée très encaissée dominée par de hautes falaises qui se découpent dans le ciel au travers des feuillages s'appelle Oak Creek Canyon. Elle débouche sur un cirque de murailles ocres qui encerclent la ville de SEDONA. L'ensemble de cette route, comme son terminus d'ailleurs, est un petit bijou, à tel point que SEDONA a été élue par un ensemble de professionnels "the most beautiful place in America", rien que ça (le plus bel endroit de l'Amérique). Du coup, je me suis dit deux choses:
1- que ça valait le coup de m'arrêter un jour,
2- qu'on a plus de proximité avec la grandeur de la nature que dans un site aussi majestueux que le Grand Canyon.

C'est pourquoi, bien que vous n'ayez probablement jamais entendu parler de SEDONA et de Oak Creek Canyon, je vous propose quelques photos. Vous allez voir, c'est tout à fait autre chose que la gigantesque entaille du Colorado mais ça vaut le détour.

Les Américains fortunés connaissent la région, eux. Ceci me pose quelques problèmes. Un motel de la chaîne super 8, par exemple, vaut ici le double que dans le Midwest: 112$ au lieu de 56. Depuis le Colorado et mon entrée en zone touristique, j'ai du mal à tenir les budgets. Heureusement, il y a les bienfaiteurs. Ici, c'est Hershel, le manager de la white house Inn, un Hindou, qui m'a fait une fleur (73$ au lieu de 83). Hershel, c'est la même personnalité qu'Amil dont je vous ai parlé il y a bien longtemps: même générosité, même sourire, même regard franc, même mots (my friend, mon ami). Thierry, qui connaît bien l'Inde, ne sera pas étonné.

En plus Hershel est devenu mon conseiller en restaurants. Je suis allé luncher et dîner dans un restau Thaï qu'il m'a indiqué. J'ai essayé avec succès deux plats savoureux. Aujourd'hui, il m'a envoyé à India Palace où j'ai fait un repas somptueux avec le buffet (on mange ce qu'on veut, tant qu'on veut): "vegetables pakoras" (légumes mélangés frits), "daal maharana" (lentilles cuites dans un sirop avec des épices), "palak saak" (épinards frais cuits avec une crème de curry),"chicken tika masala" (poulet à la tomate et aux herbes), "kheer" (pudding de riz basmati enroulé dans des amandes et des pistaches) et j'en passe... Le prix de cette merveille: 12$, 10€!

Un hôtelier Hindou, un restaurant Thaï et un autre Indien: ne serais-je pas en train de préparer mon prochain voyage?

Les mauvaises nouvelles: demain un étape très difficile de 60 miles avec 12 miles d'ascension (à 4 m/H, faites le compte) et après, le désert.

Les bonnes nouvelles:

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Le feu qui ravageait depuis plusieurs jours la Coconino forest est éteint. J'ai failli ne pas passer. tout le monde a eu chaud. Merci les fire fighters! (pompiers).

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J'ai retrouvé la route 66 à FLAGSTAFF pour aussitôt la reperdre puisqu'elle partait sur une interstate (autoroute).

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Et évidemment, la France est en demi-finale. Ben quoi, manger Hindou ça n'empêche pas de suivre!

So far, so good.